À la MC93 Bobigny, Ludovic Lagarde adapte l’un des derniers romans de l’écrivain français et en stylise, jusqu’à l’excès, la logorrhée prétentieuse.
Au fil des années, Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde sont devenus des inséparables. Suivant des trajectoires individuelles et distinctes, l’un à l’écriture, l’autre à la mise en scène, les deux artistes se rejoignent à intervalles réguliers pour donner naissance à des spectacles, fondés sur des explorations des textes, ou des traductions, du premier par le second. Depuis Soeurs et frères en 1993, Lagarde a plusieurs fois remis la plume de Cadiot sur le métier, avec Retour définitif et durable de l’être aimé, Fairy Queen, Un nid pour quoi faire, Un mage en été, Providence, et surtout Le Colonel des Zouaves, un monologue repris sans discontinuer depuis sa création en 1997 et dans lequel Laurent Poitrenaux passera le relais à Guillaume Costanza en février prochain à l’occasion de sa recréation. Huitième fruit de ce long compagnonnage, Médecine générale, créé en cette rentrée à la MC93, ne fait malheureusement que renforcer le côté illustre de son aîné, tant il déçoit et agace dans sa façon de mettre les spectateurs à l’écart. Comme si, à trop cheminer ensemble, Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde avaient fini par tomber dans le piège du vase clos, du couple autarcique, de l’environnement artistique éhontément hermétique.
Dans cette adaptation de l’un des derniers ouvrages du romancier, ils sont trois à apparaître à la manière de pantins costumés dont on ne sait quel diable théâtral tirerait les ficelles. Au côté de Closure, cet écrivain raté en pleine hystérie cosmique, qui semble mener la danse, officient Mathilde, l’anthropologue, et Pierre, le musicien. Ce curieux trio, aux liens relationnels flous, a décidé de « disparaître de la circulation et repartir de zéro », de se réfugier dans la Villa Cordélia, cette baraque délaissée dont Mathilde a hérité, pour panser leurs plaies. Car on comprend bien vite que, chacun à leur endroit, ces êtres sont meurtris : Closure par la mort de son demi-frère, Mathilde par son retour dans le monde occidental après plusieurs années de terrain et Pierre par une mystérieuse amnésie qui l’a privé de tout passé et de tout souvenir. Mu par une dynamique d’attraction-répulsion constante, le trio va alors s’adonner à une expérimentation existentielle et intellectuelle qui, en dépit de ses grandes ambitions, accouchera d’une vulgaire souris, d’un délire bourgeois tristement déconnecté du réel, chic et toc à la fois.
Cette dégringolade en règle d’une situation initiale pleine de promesses, Médecine générale la doit, avant tout, au texte d’Olivier Cadiot qui, à force de tourner sur lui-même, prend la forme d’une logorrhée prétentieuse et volontairement absconse. Recroquevillé, incapable de donner une dimension aux multiples sujets dont il se saisit, il s’enferre dans une logique attrape-tout où, des élucubrations sur la Trinité au destin du chevalier Beaumanoir, des considérations sur le « troisième système cosmique » à l’histoire d’un certain Julien, « grenadier de la Garde », tout concourt à former un ensemble cuistre et vide de sens profond. Surtout, à trop faire reluire le délire mégalomaniaque de Closure, cette adaptation oublie de creuser les personnages, étudie trop modestement leurs rapports humains et notamment la position de toute-puissance factice, mais aux conséquences bien réelles, de l’artiste-écrivain tyrannique. Seule la figure de Pierre, dans son rôle de gentil perturbateur, apparaît alors digne d’un modeste intérêt grâce à sa faculté à réancrer, de temps à autre, le trio dans un semblant de véracité.
Au lieu de tenter d’être le passeur, voire le traducteur, de cette obscure machinerie, Ludovic Lagarde se plaît, au contraire, à en être le relais, à en épouser, jusqu’à l’excès, la préciosité. Dénuée de toute générosité, sa mise en scène se complaît dans une stylisation excessive qui, bien que conforme au texte, ne fait qu’en accentuer les dérives. Plutôt que d’adopter une attitude révérencieuse à son endroit, peut-être aurait-il mieux valu le prendre à revers, quitte à révéler le côté absurde de sa vanité intrinsèque, à transformer le trio de comédiens en explorateurs suffisamment bien armés pour ne pas les cantonner à la fonction de courroies de transmission. Las, exception faite de Laurent Poitrenaux, fidèle parmi les fidèles du tandem Lagarde-Cadiot qui apparaît un peu trop bien dans son eau, Valérie Dashwood et Alvise Sinivia peinent, en dépit de leur maîtrise, à ne pas se faire engloutir par la marée textuelle et à donner une épaisseur à leurs personnages. Tant et si bien qu’au sortir on en vient à se demander si ces trois-là, cloîtrés dans leur égoïsme, avaient véritablement quelque chose à nous dire.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Médecine générale
Texte Olivier Cadiot
Conception et mise en scène Ludovic Lagarde
Avec Valérie Dashwood, Laurent Poitrenaux, Alvise Sinivia
Scénographie Antoine Vasseur
Lumière Sébastien Michaud
Costumes Marie La Rocca
Conception sonore et musicale Alvise Sinivia
Conception vidéo Jérome Tuncer
Son David Bichindaritz et Jérome Tuncer
Collaboration à la dramaturgie Pauline Labib-Lamour
Assistanat à la mise en scène Élodie Brémaud
Assistanat costumes Noémie Reymond
Conseils chorégraphiques Stéfany Ganachaud
Régie générale Corto TremorinProduction Compagnie Seconde nature
Coproduction MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Théâtre National de Bretagne – Rennes, Le Théâtre de Lorient – CDN, Le Théâtre — Scène Nationale de Saint-Nazaire
Avec le soutien de Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines à Paris et le soutien de La Muse en Circuit – Centre national de création musicale à Alfortville.La Compagnie Seconde nature est conventionnée par le ministère de la Culture / DRAC Île-de-France. Le roman Médecine générale est publié aux éditions P.O.L.
Durée : 1h30
MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
du 27 septembre au 6 octobre 2023Théâtre de Lorient, Centre dramatique national
les 16 et 17 février 2024TNB, Rennes
du 19 au 23 mars
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