D’une facture qui ressemble à s’y méprendre à du théâtre documentaire, Love d’Alexander Zeldin, donné en première française avec le Festival d’automne, est pourtant bien une fiction qui frappe par son hypperréalisme et l’authentique sincérité à vouloir s’immerger de plein fouet dans l’intime réalité des plus défavorisés de notre société. Un sujet extrêmement fort donc pour un spectacle qui manque toutefois de propos et laisse une impression mitigée.
Sur la scène des ateliers Berthier, l’espace est fortement réduit, spartiate. Les premiers spectateurs assis sur des chaises de fortune à la rampe du plateau comme dans tous ses recoins sont aux pieds et à la barbe même des acteurs. Cette immersion volontaire installe d’emblée une proximité, une promiscuité, forcément inhabituelles mais signifiantes. Alexander Zelder, jeune metteur en scène et dramaturge britannique, veut donner à voir, « aider à voir », et voir de près ! Pour regarder quoi ? La profonde misère d’individus délogés, déclassés, sans-abri. Solitaires ou en famille, ils sont les résidents reclus d’une impersonnelle salle de réfectoire dans un foyer d’accueil temporaire aux murs crasseux. Ils évoluent de leur minuscule chambre (où l’on peut vivre entassé à quatre personnes) au coin cuisine qui fait face aux toilettes communes obligeant ses utilisateurs à défiler le rouleau de papier blanc et le tube de javel en main à intervalles réguliers. Parmi eux, deux hommes, sans emploi, ayant perdu leur logement. L’un s’occupe de sa vieille mère incontinente, l’autre, plus jeune, accompagne ses deux enfants à l’école ou au parc tandis que sa femme est à nouveau sur le point d’accoucher. Ils évoquent les luttes à accomplir pour tenter de voir traiter leur dossier de relogement, percevoir leurs maigres allocations, approvisionner non sans mal le frigidaire.
Cet univers où l’hostilité côtoie sans complexe la désolation, est présenté avec une concrétude un peu sèche mais tout existe avec véracité grâce au naturalisme de l’imposante scénographie et la minutie du traitement des corps qui l’habitent, à la simplicité quotidienne des gestes dans la mise en scène des rituels familiers et journaliers restitués par le jeux indéniablement magnifique des comédiens.
D’où vient alors que ce spectacle qui triomphe partout où il passe et jouit d’une merveilleuse réputation depuis sa création londonienne en 2016 n’a pas produit le bouleversement escompté ? Inspiré de témoignages, soit issus d’un rapport officiel sur la vie de familles en logements d’urgence à la veille de Noël, soit de gens directement rencontrés et interrogés pendant plus de deux ans d’écriture et de répétitions, Love donne le sentiment de trop vouloir compter sur l’éloquence de son sujet qui forcément suscite le malaise, la colère, la compassion. Sûrement trop méfiant des postures parfois volontiers didactiques d’un certain théâtre, Zelder se contente de n’observer aucun point de vue, de ne produire aucun discours, c’est la limite et l’inconsistance de son travail pourtant probe.
Même émaillées d’incommensurables élans de tendresse comme de détresse, les situations paraissent plates, rachitiques. Elles suscitent l’émotion, l’inconfort, y compris en faisant sourire, comme lorsque Colin lave la tête de sa mère au produit vaisselle dans l’évier. Mais les personnages pris sur le vif dans un présent étale, ne sont étonnamment qu’à peine esquissés, notamment le syrien et la réfugiée soudanaise qui ne font que passer. On n’apprend rien de qui ils sont ni de ce qu’ils ont vécu. Ils se définissent uniquement par leur condition, ce qui est réducteur, et par l’amour qui donne son titre au spectacle. L’attention portée à l’autre, la dimension affective des relations qu’ils entretiennent viennent conjurer avec force l’extrême difficulté de ces vies invivables. Cette conclusion certes sensible n’est pas exempte de facilité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
LOVE
texte et mise en scène Alexander Zeldin
Avec
Waj Ali,
Emily Beacock,
Rosanna Beacock,
Anna Calder Marshall,
Luke Clarke,
Janet Etuk,
Nick Holder,
Yonatan Pelé Roodner
scénographie Natasha Jenkins
lumière Marc Williams
son Josh Anio Grigg
travail du mouvement Marcin RudyLe texte original a été publié par Bloomsbury Methuen Drama en 2016.
Le spectacle a été créé au National Theatre, Londres, en décembre 2016, puis repris au Birmingham Repertory en janvier 2017.
coproduction National Theatre of Great Britain, Birmingham Repertory Theatreavec le Festival d’Automne à Paris
durée 1h30Odéon Berthier du 5 – 10 novembre 2018
20h du lundi au vendredi, 15h et 20h le samedi.Comédie de Valence
Du 14/11/18 au 16/11/18
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