Récit autobiographique d’un coming out lesbien, augmenté de paroles documentaires et d’une mise en musique réussie, L’ouvrir ressemble à un seule en scène qui se serait diffracté en trio. Entre spoken word et chant empruntant à la comédie musicale, cette forme hybride singulière révèle l’écriture précise et déliée de Morgan⸱e Janoir, le jeu radieux de la comédienne Pauline Legoëdec et la touche musicale idéale de Valentine Gérinière.
L’ouvrir plutôt que la fermer. Exprimer à haute voix et au micro sa vérité au lieu de la taire. Raconter pour contrer les clichés. Donner un écho sur scène à des vies bien réelles et, pour une fois, faire passer la marge au centre et sous les feux de la rampe. Dans cette même salle du Théâtre de Belleville où nous découvrions Pour un temps sois peu, l’uppercut de Laurène Marx, manifeste décrivant un parcours de transition dans un seule en scène frontal et radical, L’ouvrir s’inscrit aussi dans cette veine de plus en plus présente sur nos scènes contemporaines, celle d’une parole témoin, ancrée dans le concret d’un vécu, un récit de vie qui trouve sa forme dans une oralité singulière, une intimité qui se livre dans l’écrin d’une écriture ciselée par la rime et le rythme. Kae Tempest n’est pas loin, dans la musicalité qui s’exprime, dans la scansion de la langue qui claque son flow, dans la connivence queer et la tendresse, mais, si l’auteur⸱ice se situe ouvertement dans cet héritage évident, Morgan⸱e Janoir impose d’emblée sa voix, son style, son endroit.
D’abord, au plateau, elles sont trois, et celle qui porte le texte n’est pas celle que l’on croit. Micro en main, à l’avant-scène, Pauline Legoëdec raconte, tandis que Morgan⸱e Janoir bat la mesure à l’arrière. L’auteur⸱ice donne le ton, marque le tempo, mais confie l’interprétation à une autre. Première ouverture, premier déplacement de l’autofiction. Compositrice de la bande-son en live, mix réussi entre flûte traversière acoustique et musique électronique, Valentine Gérinière joue sa partition, non pas dans l’ombre, mais dans une triangulation opérante avec les deux autres. Le courant passe. L’une parle, les autres regardent, écoutent, accompagnent en intervenant à bon escient. Dans ce trio fluide et harmonieux, le récit pose son cadre, se développe et avance vers la réalisation identitaire de sa narratrice, Alex, qui décrit pas à pas, au gré d’indices repérés, la découverte de son homosexualité. C’est un coming out en sourdine, aiguillé par un cri intérieur, une plongée tranquille dans un univers neuf, une traversée du miroir sans heurts. Il n’y a pas d’annonce grandiloquente, de révélation tonitruante. L’ouvrir se construit sur la base d’une question qui sous-tend ce récit initiatique : « Est-ce qu’il faut que ce soit un basculement ? ». Et répond, pas forcément.
Par le biais d’une langue déliée et musicale qui va régulièrement jusqu’au chant, comme des points culminants exprimant émotions et remous intimes, on entre dans la vie d’une jeune fille rangée, étudiante parisienne bien sous tous rapports, comme il faut et dans le moule, se fondant dans la norme et dans la foule, attirée par un inconnu qu’elle ne nomme pas encore. Alex aime Jean Gabin, son chéri, West Side Story et écouter des podcasts. Bientôt, elle quittera son chéri, fréquentera la Mutinerie, se fera raser la tête à une fête, défilera en manif féministe dans le cortège des lesbiennes. La révolution opère ici par glissement, doucement. Sans éclats ni fracas. Là est la beauté du geste, agrémenté d’apartés audio, confidences et témoignages de lesbiennes, toutes générations confondues, qui viennent élargir de trouées documentaires le champ chronologique et univoque de la narration.
Ouvrir de la première personne du singulier au pluriel, tel est l’enjeu, également, de ce trio complice. Solidarité, sororité, humour et sincérité traversent ce déploiement de soi qui se joue sur un plateau bientôt jonché de bocaux éclairés de l’intérieur, comme des sentinelles sur le chemin, la métaphore de l’enfermement autant que de ce qui brille au plus profond de nous. L’on arpente alors les étapes d’un dévoilement lesbien, de la découverte de soi autant que d’une communauté dans ce spectacle délicat, léger et subtil, qui jamais ne s’encombre d’explications ni de psychologie, et préfère les humeurs colorées de la comédie musicale aux coups de poings et poings levés. Ce qui émane au bout du compte de cette petite forme hybride, c’est la puissance de la douceur et l’assurance qu’il n’est pas forcé de faire du bruit pour porter une parole engagée.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
L’ouvrir
Texte et mise en scène Morgan⸱e Janoir
Avec Pauline Legoëdec, Valentine Gérinière, Morgan⸱e Janoir
Création musicale Valentine Gérinière
Création lumière Titiane BarthelProduction Sorcières & cie
Soutiens Bureau des filles, Le Sample – Bagnolet ; Théâtre à Durée Indéterminée – ParisDurée : 55 min
Théâtre de Belleville, Paris
du 4 au 31 octobre 2024
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