Monologue délirant d’une femme perdue dans l’espace, Loretta Strong de Copi est pour Gaël Leveugle une partition rêvée. Dans une performance minimaliste, il en révèle toute la poésie et la profondeur.
Psychédéliques. Avant que Gaël Leveugle apparaisse au milieu d’une cage de métal qu’il ne quittera pas de toute la représentation, les images qui défilent sur deux écrans donnent le ton du spectacle. Sur fond blanc, le comédien et metteur en scène y cohabite dans le plus simple appareil avec toutes sortes d’animaux et d’objets peu ragoutants. Sans lien entre eux autre qu’un côté tape-à-l’œil. Volontiers scato. On ne sait pas où l’on est. Loin en tous cas du théâtre de boulevard auquel est trop souvent réduit Copi en France. Dans une galaxie proche de la beat generation, où l’on se nourrit davantage de sexe, d’hémoglobine et de jeux surréalistes que de quiproquos et de mensonges entre amis. À « l’empire naturaliste stanislavskien sur le théâtre contemporain », Gaël Leveugle oppose une Loretta Strong complètement barrée. Troublante dans sa manière de déconstruire les représentations.
Lorsqu’il apparaît enfin, l’artiste semble d’autant plus nu qu’il est entouré d’un complexe dispositif lumineux et sonore dont on aperçoit nettement les contours. Dans une semi-pénombre qui dévoile régulièrement son anatomie, Gaël Leveugle ne cherche à aucun moment à illustrer le monologue de Copi. Chose de toute façon impossible : dérivant seule dans l’espace, l’héroïne éponyme de Loretta Strong passe son temps à lancer des défis à l’acteur et au metteur en scène. Entre deux conversations téléphoniques avec une certaine Linda, égarée elle aussi dans un satellite, elle s’accouple avec des rats, enfante des chauves-souris en porcelaine et autres bidules incongrus. Elle stocke les visiteurs indésirables dans son frigidaire et utilise son grille-pain à des fins non moins cruelles. Enfin, elle explose avant de se reconstituer elle-même et de poursuivre son impressionnante logorrhée.
Dans son exil qui évoque forcément celui de Copi en France à partir de 1963, Loretta Strong rejoint les créatures ambiguës qui peuplent l’œuvre de l’Argentin. Si elle n’est pas explicitement désignée comme une « folle », elle échappe à toute définition établie. Gaël Leveugle est à la hauteur de ce trouble. Sur la musique très concrète et minimaliste de Jean-Philippe Gross, il déploie une singulière partition de gestes et de sons qui doivent beaucoup à sa pratique de la danse butôh et à sa formation au chant et à différentes techniques vocales auprès de la figure emblématique de la scène nippone Tenko. Dans son rapport au personnage de Copi, Gaël Leveugle est ainsi proche d’un jeu de type oriental. Au lieu d’incarner Loretta Strong, il en porte les signes. Plutôt que de jouer le transsexuel, comme l’a beaucoup fait Copi lui-même, il se place dans un au-delà du genre qui lui permet de questionner les limites de l’acteur et celles du théâtre.
Cette exigence n’enlève rien à la puissance comique de Loretta Strong. Au contraire. Dans la proposition très organique de Gaël Leveugle, le sublime dépend du grotesque. La poésie repose sur l’imagerie science-fiction des années 70 et sur un érotisme dont les liens avec la mort sont si évidents qu’ils n’ont pas besoin d’être formulés. Hélas toujours un peu marginal dans le paysage théâtral français, Copi trouve ainsi en Gaël Leveugle un remarquable ambassadeur.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Loretta Strong
De Copi
Mise en scène, jeu Gaël Leveugle
Spectacle proposé en coréalisation avec le Centre Culturel André Malraux, Scène Nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy
Musique (composition et performance)
Jean-Philippe Gross
Dramaturgie
Mikaël Serre
Scénographie
Jeanne Comode
Lumière
Matthieu Ferry
Production
Elodie Couraud
Production Compagnie Ultima Necat
Production déléguée CDN Nancy Lorraine – La Manufacture
Coproduction Centre Culturel André Malraux – Scène nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy – Transversales Verdun
Coréalisation CDN Nancy Lorraine – La Manufacture, Centre Culturel André Malraux – Scène nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy
Avec le soutien de Collectif 12, Mantes-la-Jolie
Durée: 1hThéâtre de Belleville
LUNDI 7 > MARDI 29 MAI
Les lundi et mardi à 19h15
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !