Avec L’Oiseau de Prométhée, la compagnie Les Anges au Plafond revient à la Grèce dont elle a déjà exploré les mythes dans deux de ses spectacles fondateurs. Elle mêle cette fois le monde des Dieux à celui des Hommes d’aujourd’hui en une pièce à la forme aussi complexe que ses enjeux.
Lorsqu’à l’orée de L’Oiseau de Prométhée il s’installe, au choix – et surtout dans la mesure des places disponibles – sur les quelques tables dressées au plateau ou dans les gradins, le spectateur familier des Anges au Plafond se rappelle d’emblée d’autres voyages réalisés avec, ou plutôt au sein de cette compagnie créée en 2000 par Camille Trouvé et Brice Berthoud. Comédiens-marionnettistes et metteurs en scène, co-directeurs depuis 2021 du Centre dramatique national de Normandie-Rouen, où ils portent un projet à leur image, transdisciplinaire, ils aiment à faire vivre leur monde centré sur la marionnette au plus près de leurs visiteurs. Tous leurs spectacles ont ainsi un air de confidence. En prenant le risque de dévoiler dans leur proximité avec le public une partie de leurs secrets qui souvent font croire à l’autonomie de leurs créatures, Les Anges nous laissent entendre que plus que l’illusion, que la manipulation parfaite, c’est la qualité de la relation qu’ils recherchent. Davantage encore que dans leurs créations précédentes, cette quête d’un lien fort et juste est au cœur de L’Oiseau de Prométhée, où le duo revient à ses premières amours, la Grèce.
Dans deux de leurs spectacles fondateurs, Une Antigone de papier – Tentative de défroissage du mythe (2007), mis en scène par Brice Berthoud et interprété, entre autres, par Camille Trouvé, et Au fil d’Œdipe – Tentative de démêlage du mythe (2009), où Camille met en scène Brice et d’autres interprètes, Les Anges au Plafond faisaient en effet revivre par le dialogue des corps et de marionnettes de papier de célèbres histoires de la Grèce antique. L’Oiseau de Prométhée est donc pour le duo l’occasion de retrouvailles avec un pays dont il n’a pas seulement fréquenté les récits d’hier, mais aussi le territoire et ses habitants d’aujourd’hui. Pour partager avec le public cet amour pour la Grèce qu’ils ont continué d’entretenir tandis qu’ils créaient des spectacles mêlant intime et politique à travers les figures de Camille Claudel et Romain Gary – ils ont consacré deux spectacles à chacun –, puis une exploration du discours amoureux de Roland Barthes, Les Anges emploient de grands moyens qui bouleversent leurs habitudes de création, mais pas leurs principes.
Alors que le récit central de ce spectacle aux ramifications multiples est sans doute leur plus personnel, les deux artistes se tiennent pour la première fois hors du plateau pour n’assurer que la mise en scène. Ils confient aussi le jeu à une équipe de nouveaux collaborateurs, et l’écriture à un auteur grec, Chrístos Chryssópoulos. L’esprit des Anges, signifient-ils ainsi, se transmet et se partage. Il est relation, et donc mouvement. Tout comme est mouvement la fable centrale de L’Oiseau de Prométhée, où on peut d’ailleurs deviner une dimension autobiographique pour le duo fondateur des Anges : un groupe d’amis franco-grecs se retrouve en 2023, après une séparation de quinze ans. Au fil de leur repas, servi par trois Parques aux allures de muppets d’un autre temps, comme leur gargote où au lieu de filer elles cuisinent, comme si la vie de chaque client en dépendait, les quatre femmes et hommes dévoilent par bribes les raisons de leur séparation en 2008. S’invitent alors à leur table des scènes de cette époque, qui correspond au début de la crise de la dette publique grecque.
Grâce à la marionnette – ici, des bustes articulés aussi réalistes que le permet le papier mâché dont ils sont faits –, le Premier ministre grec Aléxis Tsípras, la chancelière allemande Angela Merkel et la Présidente de la Banque Centrale Européenne Christine Lagarde sont là à se livrer à des querelles, dont l’allure enfantine tranche avec la gravité des enjeux de leurs réunions. Manipulés par les quatre acteurs jouant le groupe d’amis, ces demi-pantins chicaneurs ne sont pas les seuls hôtes de ces derniers. Grands comme un homme et demi, magnifiquement composés de matières simples, comme savent si bien le faire Les Anges – avec Camille Trouvé, on retrouve à la création des marionnettes et de l’univers plastique plusieurs collaborateurs de longue date de la compagnie tels Jonas Coutancier, Séverine Thiébault et Amélie Madeline –, Zeus et Prométhée viennent rejouer le partage du bœuf sacré. Pour ceux dont les connaissances mythologiques seraient approximatives, aucune inquiétude : portées pour beaucoup par le bel oiseau-marionnette qui donne son nom au spectacle, des explications bien intégrées au reste de la pièce rendent le tout très compréhensible. En l’occurrence, on saisit parfaitement que l’un des dîners qui s’enchâssent dans celui des quatre amis n’est rien moins que le dernier repas entre les Dieux et les Hommes
Avec L’Oiseau de Prométhée, Les Anges au Plafond rassemblent donc ce qui avait été séparé : les Hommes et les Dieux, les amis grecs et français, ou encore le présent et le passé… Très cohérente avec l’âge et le vécu de la compagnie, la grande ambition de ce mélange de formes et de récits divers ne peut que séduire. Car elle est généreuse, et portée par un désir de décloisonnement qui excède de loin la situation grecque. Traitée de façon assez simplifiée, de même que les autres fils narratifs de la pièce, cette dernière apparaît clairement – peut-être un peu trop – comme la métaphore de ce qui nous attend tous en Europe. En faisant presque devenir fable cette réalité tragique, Les Anges au Plafond tentent d’unifier les différents éléments de leur spectacle composite. On peut regretter qu’ils n’aient pas opté pour davantage de contrastes. Mais le langage de la manipulation aussi bien que le jeu, qui s’entremêlaient encore timidement le soir de la première au CDN de Rouen, ont de quoi apporter les chocs et les nuances dont l’écriture manque parfois, en partie sans doute justement pour laisser à la marionnette et au jeu la place de s’épanouir. Le vol de L’Oiseau emprunte une trajectoire passionnante, joliment rythmée par des musiciens de rebetiko, dont il n’a plus qu’à affirmer le trait.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’Oiseau de Prométhée
Mise en scène Camille Trouvé, Brice Berthoud
Autour de la table Rhiannon Morgan, Victoire Goupil, Souleymane Sylla, Achille Sauloup
Marionnettiste Christelle Ferreira
Sur le fil Olivier Roustan
Musique live Stéphane Tsapis
Complicité artistique et poétique Jonas Coutancier
Écriture Chrístos Chryssópoulos avec Camille Trouvé et Brice Berthoud
Traduction Anne-Laure Brisac
Dramaturgie Saskia Berthod
Économiste de référence Romain Zolla
Création marionnettes et univers plastique Amélie Madeline, Séverine Thiebault, Camille Trouvé, Jonas Coutancier, Magali Rousseau, avec l’aide de Caroline Dubuisson
Scénographie Brice Berthoud avec Maxime Boulanger, Adèle Romieu
Patines Vincent Croguennec, avec l’aide d’Alexa Pinaud
Création costumes Séverine Thiébault
Direction musicale UssaR
Création et régie lumière Louis de Pasquale
Création et régie son Tania Volke
Création vidéo Jonas Coutancier
Régie Générale Adèle Romieu
Régie Plateau Philippe Desmulie, en alternance avec Yvan Bernardet
Construction des décors Les ateliers de la maisondelaculture, Scène nationale de Bourges et Salem Ben Belkacem
Adaptation LSF Célia Darnoux et Périne Paniccia
Regard extérieur sourd Paul SterckemanProduction CDN de Normandie-Rouen – Les Anges au Plafond Coproduction MCA Maison de la Culture d’Amiens ; maisondelaculture, Scène nationale de Bourges ; Théâtre Jean Lurçat, Scène nationale d’Aubusson – Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières ; Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi, Scène conventionnée d’intérêt national – Art et création pour la diversité linguistique ; Les Passerelles, Scène de Paris – Vallée de la Marne ; Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan, Scène conventionnée d’intérêt national – Art et création ; Communauté de Communes du Mont-Saint-Michel ; L’Hectare – Centre national de la Marionnette – Vendôme ; Le Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique ; Scène55 Mougins – Scène Conventionnée Art et Création
Soutien Malakoff Scène nationale ; Théâtre de ChâtillonDurée : 1h45
Vu en novembre 2023 au CDN de Normandie-Rouen
Théâtre de Châtillon, en co-accueil avec le Mouffetard, Centre national de la marionnette
du 23 au 26 octobre 2024
L’Hectare – Territoires vendômois, Centre national de la marionnette, Vendôme
les 14 et 15 novembreThéâtre de Corbeil-Essonnes
les 17 et 18 janvier 2025Espace Jéliote, Centre National de la Marionnette, Oloron-Sainte-Marie
le 11 févrierThéâtre des Quatre Saisons, Gradignan
le 20 févrierGrrranit, Scène nationale de Belfort, dans le cadre du Festival International de Marionnettes de Belfort
le 1er marsLe Théâtre, Scène nationale de Saint-Nazaire
les 26 er 27 mars
La Barcarolle, Saint-Omer
les 3 et 4 avril
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