En revenant au mode conférence pour savoir comment accéder au pouvoir dans un État démocratique, Sébastien Valignat trouve le bon format pour son théâtre mi-informatif mi-potache.
Depuis qu’il a commencé à proposer des spectacles avec sa compagnie Cassandre, Sébastien Valignat privilégie les adresses directes au public. T.I.N.A., une brève histoire de la crise (2012) était un essai sur les bulles spéculatives. Treize ans plus tard, il s’en tient toujours à ce mode de théâtre qu’il a parfois délaissé pour des formes plus ambitieuses et largement plus casse-gueules, tant le mélange des genres entravait ses sujets. C’était le cas notamment de Quatorze, « comédie documentée relatant les 38 jours qui précédèrent la Première Guerre mondiale » où les blagues s’étiraient sur des moments-clés de son récit, puis de Taïga, sur l’affaire abracadabrantesque de Tarnac – son travail le plus intéressant –, mais, là encore, il amoindrissait le propos, de fait hautement politique, avec des apartés au format sitcom et en voulant tout mettre sur le plateau – duplication de JT, décor-maquette, etc. Avec Love me…, il retrouve, en 2020, le format conférence éprouvé avec une vraie fluidité dans Petite conférence de toutes vérités sur l’existence, adapté de Fred Vargas. L’Art d’avoir toujours raison repose entièrement sur ce principe que, par exemple, Frédéric Ferrer manie si bien sur le thème scientifique.
Voici deux formateurs qui s’adressent à la masse du public, immédiatement complice des acteurs, car considéré comme ayant choisi de suivre une formation qui, en raison d’un changement de dernière minute, n’a pas lieu dans la salle de la mairie annexe, mais bien au TNP. Le mode comédie est ainsi annoncé comme étant une base de ce spectacle créé à l’automne à la MC2: Grenoble. Que le personnage féminin, fan de Macron et enseignant dans les universités les plus cotées du monde, fasse équipe avec un prof de géo d’un lycée de Limoges est plus une façon de moquer la course aux classements des facs que de rabaisser l’enseignant. Ensemble, ils vont soutenir des démonstrations rythmées par des PowerPoints volontairement moches – ah, ce dégradé de couleurs comme au bon vieux temps des PC de bureaux lourds comme des ânes et ces jingles dignes des années 1990 ! Ce qui intéresse Sébastien Valignat – présent au plateau avec l’actrice Adeline Benamara –, c’est de déconstruire le langage. Il n’est pas seul sur le créneau. L’ancien prof Clément Viktorovitch en fait notamment métier en one man show. Le chroniqueur est d’ailleurs mentionné dans les sources bibliographiques qui apparaissaient en fin de spectacle sur les derniers slides. À ses côtés : Julia Cagé, Le Petit Cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon, Macron ou le mystère du verbe de Damon Mayaffre et les vidéos du Stagirite.
Les deux experts du foutraque Groupe international de recherche pour automatiquement fédérer les électeurs, le GIRAFE, se lancent donc dans une démonstration d’1h15 absurde, mais étayée par des faits tous exacts et des données chiffrées issues d’institutions aussi sérieuses que le CNRS. Au fil du déroulé sur les erreurs à ne pas commettre et la façon de faire disparaître un conflit, c’est la sémantique des femmes et (surtout) des hommes politiques qui est passée au crible de leur paresse intellectuelle, comme ce terme de « changement » brandi par chacun des candidats à la présidentielle depuis des décennies ou la notion de « société juste » difficile à contrer – comment souhaiter qu’elle soit injuste ? – et pour autant indéfinissable – le juste étant différent pour chacun. Des concepts comme la triangulation sont expliqués dans toute leur absurdité – Emmanuel Macron en étant le chantre avec son ni droite ni gauche de la campagne pour 2017 et Christine Lagarde ayant inventé la « rilance » pour concilier les inconciliables « relance » et « rigueur ». Puisque le ridicule ne tue pas et que la com’ supplante tout, elle passera de ministre à cheffe du FMI, puis de la BCE.
Plus que faire de grandes révélations – les exemples audio cités ont été maintes et maintes fois entendus par ailleurs, comme la saillie de l’éditorialiste Julie Graziani sur BFM incitant les femmes au SMIC à ne pas divorcer ou les propos incohérents d’Olivier Véran pendant la crise du Covid sur l’école vue, à la fois, comme foyer infectieux et safe place –, ce que parviennent à faire avec habilité les deux acteurs et le co-auteur Logan de Carvalho c’est de donner les codes d’une communication axée autour de mots vidés, à dessein, de leur sens, et montrer comment le glissement sémantique peut s’avérer diablement politique. Passer du terme « ouvrier » à celui de « salarié », puis à « collaborateur », et enfin à « équipier » évite artificiellement l’inconfort pour les patrons : comment un équipier pourrait-il demander une hausse de salaire et donc aller contre son équipe ?
La deuxième partie, une séance de travaux pratiques sur la réponse d’un ministre à faire à un journaliste en période de crise, est à cet égard impeccable, bien plus que celle dédiée à la communication qui surfe sur la facilité – moquer des affiches de campagne ratées et rire de noms (soi-disant) imprononçables –, même si elle ne résume pas ce spectacle quasi pédagogique qui tient sur sa forme fluide. Souvent programmé en itinérance et en décentralisation par les théâtres qui l’accueillent, ce spectacle n’en sera que plus pertinent dans ces « territoires » – le terme est très bien analysé dans la pièce – ruraux dont l’électorat tend largement plus vers les partis conservateurs et d’extrême droite que vers les progressistes – source : INSEE, ministère de l’Intérieur. L’Art d’avoir toujours raison ne sera pas de trop.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
L’Art d’avoir toujours raison
de Logan De Carvalho et Sébastien Valignat
Mise en scène Sébastien Valignat
Avec Adeline Benamara, Sébastien Valignat
Assistanat à la mise en scène Guillaume Motte
Scénographie et lumière Dominique Ryo
Vidéo et son Benjamin Furbacco
Costumes et visuel Bertrand NodetProduction Compagnie Cassandre
Coproduction MC2: Grenoble – Scène nationale ; L’arc, Scène nationale Le Creusot ; Théâtre Durance, Scène nationale de Château-Arnoux-Saint-Auban ; PIVO – Pôle itinérant en Val d’Oise, Scène conventionnée Art en territoire ; Théâtre de Châtillon ; Théâtre des Collines, Scène régionale de la Ville d’Annecy ; Théâtre de Villefranche-sur-Saône – Scène conventionnée d’intérêt national art et création ; La 2Deuche, Lempdes ; Grand Angle, Scène régionale, Pays Voironnais ; Théâtre d’Auxerre, Scène conventionnée ; Théâtre de Crolles ; TDB – Théâtre du Briançonnais, Scène conventionnée
Avec le soutien de La Passerelle, Scène nationale de Gap – Alpes du Sud, du Théâtre du Point du Jour et du Théâtre de la Croix-RousseLa Compagnie Cassandre est associée au Théâtre de Châtillon, au Théâtre des Collines, Scène régionale de la Ville d’Annecy, au Théâtre Durance, Scène nationale de Château-Arnoux-Saint-Auban. Elle est compagnie associée au Groupe des 20 / Scènes publiques Auvergne Rhône-Alpes et reçoit le soutien de la DRAC, de la Région Auvergne Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.
Durée : 1h15
TNP, Villeurbanne
du 9 au 22 janvier 2025Théâtre du Parc, Andrézieux-Bouthéon
les 24 et 25 janvierL’Arc Scène nationale, Le Creusot
le 30 janvierTMG, Théâtre municipal de Grenoble
le 6 févrierEspace Paul Jargot, Crolles & Espace Aragon, Villard-Bonnot (en décentralisation)
les 7 et 8 févrierComédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche (en décentralisation et itinérance)
du 10 au 20 févrierPIVO, Pôle Itinérant en Val d’Oise (tournée décentralisée)
du 8 au 12 avrilThéâtre d’Angoulême, Scène Nationale
du 15 au 18 avrilMoulins de Chambly, Scènes culturelles, en partenariat avec La Faïencerie, Creil
le 21 maiThéâtre de Châtillon
les 22 et 23 maiLa Faïencerie, Creil (hors les murs)
le 24 mai
Je me permets de jouer ici le rôle de critique de critique de théâtre.
Vous avez une drôle de façon de présenter une pièce de théâtre en la décrivant factuellement de façon chronologique: cela donne au final un divulgachage médiocre car froid et distancié. J’en restais là dans ma lecture, un peu désolé par cet étalage sans précautions du contenu d’un travail artistique original, sans aucune analyse ni mise en perspective de votre part (rien sur la nécessité de réarmer notre esprit critique par exemple) jusqu’à votre dernier paragraphe qui m’a fait regretter d’avoir souhaité plonger d’avantage dans ce que vous en pensiez.
Vous imaginez donc ce spectacle comme un outil ayant la vocation de reformater les esprits réactionnaires ruraux à un standard urbain progressiste et éduqué culturellement, dont vous semblez avoir les codes. Vous décrivez une sorte de ruissellement culturel urbain de gauche vers la ruralité de droite, et ce spectacle comme son cheval de Troie: visant une propagande à destination des esprits étroits des provinces françaises. Et ce serait, toujours selon vos mots, la place de la décentralisation théâtrale en France: wahou ! Cela m’inspire deux choses. La première, c’est que finalement vous ne pensez pas autrement que Laurent Wauquiez qui tente d’imposer la même description politisée de la culture que vous. Et la deuxième, c’est que je ne suis pas certain que Jean Vilar et Jean Dasté auraient adhéré à votre idée de la décentralisation théâtrale.
Ce spectacle est jubilatoire parce qu’il est libérateur. S’il donne des clés, ce sont celles qui permettent d’ouvrir notre pensée critique et notre metacognition (pourquoi je pense ce que je pense ?), et tout ça par le rire ce qui n’est pas la dernière des élégances. Il y a énormément à dire sur ce qu’offre ce moment de théâtre au spectateur, individuellement et collectivement. Dommage: vous êtes passée à côté.