Le dramaturge Yann Verburgh et le metteur en scène Frédéric R. Fisbach signent un spectacle centré sur la relation conflictuelle qu’entretiennent une professeure d’Histoire et son élève lycéen autour de la question de la liberté d’expression. Donnée à Avignon dans une authentique salle de classe, la pièce bénéficie d’une profonde justesse de ton.
Pensée juste après l’assassinat de Samuel Paty à la sortie de son collège dans la commune d’Éragny, pour avoir montré, à l’occasion d’un cours d’enseignement civique et moral, deux caricatures de Mahomet, la pièce Liberté, jouée dans les établissements scolaires, et d’une durée suffisamment brève pour tenir sur le temps d’un cours, démarre sur une situation similaire.
Devant le tableau blanc, où s’écrivent méthodologiquement les titres des dix séquences qui composent le canevas textuel composé par Yann Verburgh, la professeure Madame Perrot dispense à son auditoire un cours sur la liberté d’expression. Mue par un réel désir pédagogique de transmission, elle contextualise et définit la notion garantie par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, tout en pointant ses limites. Le jeune Nicolas, en décrochage scolaire, installé derrière sa table de cours au centre des spectateurs qui prennent le rôle et la place de ses camarades, ricane, intervient de manière intempestive, perturbe les explications énoncées en revendiquant sa propre liberté de dire et de penser, et ce au mépris des règles de civilité et du respect de son enseignante – qu’il surnomme Marie-Antoinette en référence au fait qu’il la verrait bien décapitée.
Partie d’une provocation adolescente, la situation dégénère : l’élève se lève, profère des inepties à l’emporte-pièce et dérape dans ce qui s’apparente à une apologie du terrorisme. Sommé de quitter la salle par sa professeure, il finit par violemment la bousculer. Le malaise s’installe et ne fait que perdurer lorsque, en tentant, quelques jours plus tard, de justifier son absence du lycée auprès de son père, l’élève affirme avoir reçu une gifle de la part de son enseignante. Évidemment heurtée par l’incident, elle choisit de ne pas le signaler, mais plutôt d’entamer avec lui un dialogue et tenter d’aboutir à une compréhension mutuelle.
Au fil des scènes qui se suivent, en permettant des allers-retours entre le milieu scolaire et la sphère intime des deux personnages, on apprend à mieux connaître les deux figures centrales : le jeune garçon, qui vit très difficilement la mort de sa mère, et sa professeure, éreintée par sa solitude personnelle. Si elle s’avère cousue de fil blanc dans son cheminement progressif vers un happy ending attendu, la construction narrative de Yann Verburgh montre parfaitement que, dans une école en difficultés, où tout le monde est surmené – proviseur compris –, les professeurs et les élèves sont des êtres de chair et de sang, perméables à leurs tourments, qui influent sur leur comportement dans la salle de classe et peuvent, à leur corps défendant, leur faire dépasser certaines limites.
Tout en simplicité afin de rester accessibles au plus grand nombre, le texte, comme la mise en scène de Frédéric Fisbach, ont pour objectif de correspondre à la réalité du sujet porté, avec toute l’empathie qui, par ailleurs, fait en général cruellement défaut dans le regard à l’emporte-pièce que pose la société sur la réalité du métier. Les deux signataires de cette petite, mais efficace forme ne se permettent pas de juger, de condamner les personnages et les situations présentés, mais donnent plutôt à voir et à réfléchir, dans un geste sensible, loin des clichés, qui pourrait toutefois être approfondi et étoffé. Sans tomber dans l’angélisme, ils parviennent alors à faire de l’école un lieu d’humanité profonde, où des relations fortes peuvent encore se tisser. Aussi délicats qu’impulsifs et révoltés, les deux jeunes comédiens, Sophie Claret et Nicolas Dupont, apportent également beaucoup de fraîcheur, de justesse et de sensibilité aux rôles qu’ils prennent en charge. Et tout concourt alors à mettre en valeur l’absolue nécessité de communiquer.
Christophe Candoni (avec V.B.) – www.sceneweb.fr
Liberté
Texte Yann Verburgh
Mise en scène Frédéric R. Fisbach
Avec Sophie Claret, Nicolas DupontProduction Compagnie L’Ensemble Atopique II
Coproduction Communauté d’agglomération Mont Saint-Michel – Normandie
Soutiens Le Cratère – Scène nationale d’Alès, Théâtre de la Licorne – Scène conventionnée art, enfance, jeunesse
La compagnie Ensemble Atopique II est conventionnée DRAC PACADurée : 1h10
Festival Off d’Avignon 2023
11 · Avignon
du 9 au 26 juillet, à 10h45 (relâche les 13 et 20)
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