Lima Scarlett jeune prodige de 32 ans signe en cette fin de saison un Lac des cygnes pour le Royal Ballet à Londres. Encensée par la presse et le public anglais cette réussite sera diffusée dans les salles de cinéma mardi 12 juin. Interview.
Travailler sur une nouvelle production du Lac des cygnes, est-ce l’accomplissement d’un rêve pour un chorégraphe ?
Oui, c’est le rêve absolu, mais c’est aussi une grande responsabilité, de quoi intimider tout chorégraphe classique qui crée un spectacle pour une compagnie chargée d’histoire et d’héritage, surtout s’il s’agit du Lac des cygnes. Pour moi, la partition de Tchaïkovski représente le summum de la perfection dans le domaine du ballet classique : sa plénitude et sa richesse incarnent parfaitement le récit et offrent à l’inspiration du chorégraphe tout ce dont il a besoin. La seule difficulté, c’est d’essayer de faire correspondre le génie de la musique avec les pas. Heureusement, j’avais à mes côtés deux collaborateurs que je considère comme les meilleurs dans leur domaine : le décorateur costumier John Macfarlane et le créateur de lumières David Finn, avec qui j’avais déjà travaillé auparavant en étroite collaboration, ont pleinement compris ma vision et m’ont aidé à la concrétiser. Pour le danseur de formation classique que je suis, animé par un amour très sincère pour toutes les œuvres traditionnelles du patrimoine, celles de l’époque de Petipa voire de périodes antérieures, c’était un immense honneur que de pouvoir proposer une nouvelle production de ce classique emblématique. Je voulais cultiver tous les éléments qui l’ont rendu si fécond il y a plus d’un siècle, tout en lui insufflant une nouvelle sensibilité et une nouvelle lecture de l’histoire. C’était le clou de ma carrière, et ça le restera sans doute.
J’imagine que la pression est très forte ?
Elle est immense, surtout parce que j’ai créé ce ballet pour ma compagnie d’origine. Où je me suis entraîné, où j’ai dansé et où je crée maintenant. Les danseurs, mes collègues, sont des gens avec qui j’ai grandi et dansé, que je respecte et que j’admire profondément, tant comme individus que comme artistes. J’ai voulu créer pour eux un spectacle dont ils seraient fiers et qu’ils prendraient plaisir à jouer, mais aussi une production qui appartiendrait exclusivement au Royal Ballet.
Comment avez-vous travaillé sur les personnages principaux Odette/Odile, Siegfried, Rothbart, et sur leur relation ?
Ce qui était très important pour moi, c’était l’intrigue. À leur époque, ces œuvres anciennes de Petipa/Ivanov étaient révolutionnaires dans leur conduite du récit ; de même, la partition de Tchaïkovski était une révélation et rompait avec l’approche traditionnelle, à la « Minkus », des partitions de ballet conventionnelles. Il s’agissait pour moi de tenter de cerner ces personnages et les raisons pour lesquelles ils affectaient mutuellement le cours de leurs vies. Le jeune prince porte le double poids de la lourde couronne qui lui incombe et d’un mariage forcé, pour raison d’État. L’amour véritable auquel il aspire s’incarne dans le personnage maudit de la belle Odette, qui cherche tout ce que Siegfried a à offrir. Tous deux sont destinés à être ensemble et pourtant voués d’emblée à l’échec, à cause de Rothbart, que je vois comme un marionnettiste manipulateur ruminant ses sombres pensées, en proie à une soif insatiable de pouvoir et de contrôle absolu ; c’est une sorte de prédateur qui guette la proie qu’il talonne avec une parfaite précision et maîtrise du temps.
La distribution des principaux rôles est différente selon les spectacles? Comment gérez-vous cela ?
Chaque distribution est en effet différente, tant sur le plan technique qu’artistique. Pour moi, c’est merveilleux. L’une des raisons de la longévité du Lac des cygnes, c’est la façon dont la chorégraphie pousse et défie ses danseurs, tout en ayant la grâce et la souplesse nécessaires pour permettre à diverses interprétations de transparaître. C’est ce que j’ai tenté de faire, non seulement pour les protagonistes, mais aussi pour les solistes et le corps de ballet, afin que le spectacle puisse être apprécié et joué pendant de nombreuses générations.
Propos recueillis par Philippe Noisette
Swan Lake par le Royal Ballet avec Marianela Nunez, Vadim Muntagirov et les artistes du Royal Ballet. Chorégraphie Liam Scarlett d’après Petipa/Ivanov, décor John Macfarlane. Diffusion dans les salles de cinéma mardi 12 juin 20h15 www.rohcinema.fr
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