La représentation de La Tempête ce soir à la Comédie-Française sera dédiée à Jacques Lassalle. Le metteur en scène est mort mardi à l’âge de 81 ans. Il avait dirigé le Théâtre national de Strasbourg de 1983 à 1990 puis la Comédie-Française de 1990 à 1993. Eric Ruf, l’actuel administrateur lui rend hommage.
Nous perdons aujourd’hui un grand homme de théâtre et un grand penseur de notre métier. Jacques Lassalle était doué d’une vive intelligence et d’une culture encyclopédique. Metteur en scène extrêmement prolixe, découvreur d’auteurs contemporains, pédagogue éclairé, administrateur général de notre Maison de 1990 à 1993, il écrivait d’une plume magnifique et singulière. Il nous laisse une somme impressionnante de textes, articles, chroniques, réflexions théoriques et souvenirs sur le théâtre.
Dans L’ Amour d’Alceste, il écrit » Au commencement, la chose la plus précieuse à mes yeux est ce noyau d’incertitude, ce lieu de non-repos, de doute, d’errance, par lequel il faut passer pour mettre au jour, à jour, ce qu’ obscurément l’ on sait déjà. Et je n’ai de cesse de placer d’abord les acteurs, dans le même état d’ étonnement, d’innocence, d’inquiétude heureuse devant ce que, de l’ œuvre, nous allons découvrir ensemble.
Cela ne relève d’aucun plan, d’aucune stratégie plus ou moins perverse. Je mets en crise – je ne peux pas faire autrement – tout ce qui chez l’acteur fait écran entre le théâtre et le monde, entre l’ être que je cherche et l’instrumentiste qui – parfois – le dérobe. À l’ occasion d’une réplique, d’un regard, d’un geste, d’un silence, du maniement d’un objet, je me souviens d’un film, d’un livre, d’un tableau, d’une photographie, d’un coin de rue, la nuit, dans une ville étrangère, du regard d’un enfant, revenu d ’on ne sait où. J’ explore des mémoires. Je tâche de rendre étrange ce qui est familier, familier ce qui pourrait paraître étrange. Ce n’ est presque rien, mais ainsi, doucement arraché à ses habitudes, à son quant-à-soi, l’ acteur consent-il à se découvrir, à faire cadeau de sa bienheureuse fragilité.
Il arrive, en répétition, que les mots de la brochure dansent sous mes yeux. Je ne parviens plus à les fixer. C’ est bon signe. Le texte a quitté la page. Il s’ écrit désormais dans les corps, le mouvement, l’ espace. Je ne sais plus le lire autrement. »
Je me souviendrai toute ma vie de ses discussions enflammées et contradictoires avec Bernard Dort, Jean Dautremay et Roland Bertin sur la mise en scène de Dom Juan en 1993. Je faisais alors mes premiers pas dans la Troupe. Le jeune homme que j’ étais n’en perdait pas une miette.
C ’est grâce à Jacques Lassalle que je suis entré à la Comédie-Française.
Du bureau que j’ occupe aujourd’hui et qui fut le sien, je salue sa si longue et exemplaire carrière.
Éric Ruf, administrateur général.
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