Né en Albanie, formé et travaillant en Grèce, Mario Banushi fut l’une des grandes révélations du Festival d’Avignon 2025 avec MAMI. Son théâtre sans paroles à l’esthétique soignée et aux propos intimistes devrait bientôt occuper une place de premier plan sur les scènes européennes. Portrait d’un jeune homme délicat.
Lorsque nous avons rencontré Mario Banushi en juillet 2025, à l’occasion du Festival d’Avignon, pour MAMI, il n’était pas simple de mettre le mot juste sur l’effet que ce jeune homme provoquait en nous. Il y avait là quelque chose d’étrange, comme une évanescence, un flottement. Un trouble qui brouillait la perception et le sens critique. Son travail autant que sa personne. Mario Banushi était l’un des artistes les plus inexpérimentés de la sélection : 28 ans. Il profitait des louanges particulièrement appuyées de Tiago Rodrigues, le directeur du Festival. Et cette pièce, qui met en scène les figures maternelles qui ont élevé l’intéressé, s’imposait à la marge d’une programmation jalonnée par des hommes et des femmes dont l’œuvre était déjà reconnue. Il s’agissait en effet d’un spectacle sans paroles, qui n’était ni de la danse ni du cirque. Un spectacle, le premier que Mario Banushi présentait en France, que l’on qualifierait plutôt de poème visuel, crypté, un peu dérangeant – un peu lourd aussi, parfois. Mais toujours singulier et intime.
Les pièces attendues sont souvent décevantes. Celle-ci l’était, un brin ; et puis, en fait, non, pas tant que ça. Cinq mois ont passé et les images de MAMI restent imprimées dans notre mémoire, encapsulant ces émotions faites d’effroi, d’échappées belles et de désir contrarié. En cette fin d’année, voilà donc l’occasion de relire nos notes et de réécouter l’enregistrement de notre entretien, et nous y voyons un peu plus clair. Ces raisons tiennent beaucoup aux origines de l’artiste.
Hanter les corps et les esprits
Mario Banushi vient de deux pays de théâtre peu représentés en France : l’Albanie et la Grèce. L’Albanie où il est né, où sa famille plonge ses racines, où il a passé sa petite enfance ; la Grèce où il a grandi, et a été formé – au Conservatoire d’Athènes, principalement. Une double appartenance qui complique son rapport aux mots. « Il n’est évidemment pas rare d’avoir des origines métissées, surtout de nos jours, explique-t-il. Mais ces langues m’ont toujours posé un problème de vérité. J’ai l’impression de trahir l’une lorsque je m’exprime dans l’autre. Raison pour laquelle mon travail se situe en deçà du discours. » Paradoxalement, quand il dirige ses comédiens et comédiennes, Mario Banushi est un grand bavard. « J’aime que ma voix trotte dans leur tête. » Voilà donc un artiste qui hante les corps et les esprits.
Pas simple, en effet, de raconter des histoires ou de dépeindre des états quand on ne peut pas faire usage du gros plan, comme au cinéma. D’ailleurs, c’est grâce à un court-métrage que Mario Banushi a présenté son travail hors de Grèce. Pranvera fut projeté au Festival de Toronto en 2021. Mais il préfère le théâtre, « plus immédiat, plus délicat, plus risqué ». Avec Goodbye Lindita (2023) et Taverna Miresia – Mario, Bella, Anastasia (2023), il affine une esthétique, marquée par le clair-obscur, l’épure et les corps dénudés, au fil de tableaux chiadés. Mais il met en scène des thèmes qui lui sont chers : la famille, le deuil, l’absence et le sacré.
Des pièces sans paroles qui voyagent bien
« On peut tenir toute une vie avec ces sujets-là », s’amuse-t-il quand on lui demande ce que l’on pourra attendre de lui dans les années à venir. Mario Banushi creuse son sillon. Le théâtre sans paroles lui réussit. Il paraît que certains lui ont reproché une démarche opportuniste. De fait, ses pièces qui ne nécessitent aucune traduction voyagent bien. « Cet atout n’est pas prémédité. Sur scène, les personnages qui ne parlent pas sont autrement plus difficiles à figurer. Tout se joue dans les regards, les visages, les situations. » Ce qui est vrai, en revanche, c’est que Mario Baushi ne pourrait pas vivre de son travail s’il devait uniquement compter sur la Grèce. « Ce n’est pas comme en France, l’un des rares pays au monde où l’on peut créer une pièce par an. Votre système à vous permet de profiter du véritable théâtre d’art. »
Ces derniers temps, on l’a vu sur les scènes de nombreuses manifestations à l’étranger, aux Pays-Bas, en Espagne. En mars prochain, les Parisiens pourront découvrir Goodbye Lindita sur le plateau du Théâtre de l’Odéon ; quand les Suisses pourront admirer Taverna Miresia – Mario, Bella, Anastasia à La Comédie de Genève. Mario Banushi n’a décidément pas fini de faire parler de lui. Chapeau pour un dramaturge qui n’a pas écrit un mot.
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