Conçu il y a une dizaine d’années, cet assemblage de trois pièces de Shakespeare n’a rien perdu de sa pertinence. Grâce à leur subjuguante maîtrise scénique, le metteur en scène flamand et sa troupe du Toneelgroep Amsterdam prouvent, une nouvelle fois, qu’ils sont au sommet du théâtre européen.
L’an passé, lors de la reprise des Tragédies romaines au Barbican Centre de Londres, Ivo van Hove et la troupe du Toneelgroep Amsterdam furent pris d’un doute : dix ans après sa création, le spectacle, chaleureusement accueilli en 2008 au Festival d’Avignon, fonctionnait-il encore ? Avait-il toujours quelque chose à dire du monde tel qu’il va et de ses systèmes politiques en constante mutation ? A l’époque, l’enthousiasme du public londonien les avait rassurés, et les spectateurs du Théâtre de Chaillot ont pu à leur tour dissiper cette ombre en leur offrant un triomphe après six heures de représentation.
Une durée fleuve à l’image de ce spectacle monstre, sans doute l’un des plus conceptuels du metteur en scène flamand. Sans véritable entracte, rythmé par des précipités réguliers de cinq à dix minutes, il accorde au public une liberté rare. Chacun peut entrer et sortir de la salle quand il le souhaite, et est invité à monter sur scène pour s’installer dans des canapés, ou se restaurer à l’un des deux bars présents, et transformer l’espace de jeu en agora. Cette audace, creuset de potentiels risques scéniques, Ivo van Hove ne peut se la permettre que parce qu’il sait que son spectacle repose sur des fondations incroyablement solides. Dans son utilisation constante de la vidéo, dans son sens aigu du tempo, comme dans la virtuosité scénographique de Jan Versweyveld, Tragédies romaines transpire de maîtrise.
A l’avenant, la troupe du Toneelgroep Amsterdam prouve, une nouvelle fois, qu’elle abrite quelques-uns des meilleurs comédiens européens. De Hans Kesting, impressionnant Marc Antoine, à Chris Nietvelt, bouleversante Cléopâtre, en passant par Bart Slegers, ombrageux Enobarbus, tous parviennent à révéler et sublimer le tiraillement de ces femmes – qui interprètent parfois des rôles masculins – et hommes politiques coincés entre leur stratégie personnelle, la raison d’Etat et leurs élans intimes. Sous la direction d’Ivo van Hove, c’est bien la face la plus humaine du pouvoir qui se fait jour. Dans les emportements de Coriolan, dans la peur de Brutus vis-à-vis de César, dans la passion de Marc Antoine et Cléopâtre, naissent des décisions qui échappent à la rationalité sur laquelle elles devraient en théorie se fonder.
En assemblant ces trois pièces de Shakespeare – Coriolan, Jules César et Antoine et Cléopâtre – dont il a expurgé les passages guerriers, Ivo van Hove cherche moins à brosser un portrait historique de la République romaine, qu’à se servir de la puissance du dramaturge britannique pour interroger la mécanique essentielle d’un système politique, le nôtre, dans ce qu’il a de plus ravageur, et de plus communicant. Les combats, les discours, les méthodes de Coriolan, Brutus, Jules César, Marc Antoine, Octave et consorts entrent en résonance avec celles de nos dirigeants bien actuels que van Hove se plait à convoquer en disséminant, çà et là, des images de Donald Trump, Vladimir Poutine ou Emmanuel Macron. Abreuvé par des actualités piochées en quasi temps réel sur Internet, ce triptyque, conçu comme un tout unique, se transforme en un précis de communication politique, scruté par l’omniprésence médiatique et citoyenne. Reste à savoir qui des trois détient le pouvoir réel. A cette interrogation, Ivo van Hove répond par une pirouette, sous la forme de questions philosophiques en guise de générique.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Les tragédies romaines de Ivo van Hove
MISE EN SCÈNE Ivo van Hove
AUTEUR William Shakespeare
TRADUCTION Tom Kleijn
DRAMATURGIE Bart Van den Eynde, Jan Peter Gerrits, Alexander Schreuder
MUSIQUE Eric Sleichim
COSTUMES Lies Van Assche
SCÉNOGRAPHIE, LUMIÈRES Jan Versweyveld
VIDÉO Tal Yarden
ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Matthias Mooij
DIRECTION DES RÉPÉTITIONS Nina de la Parra
ASSISTANAT À LA SCÉNOGRAPHIE Ramón Huijbrechts
ASSISTANAT À LA MUSIQUE Ief SpincemailleAVEC Hélène Devos, Fred Goessens, Janni Goslinga, Marieke Heebink, Robert de Hoog, Hans Kesting, Hugo Koolschijn, Maria Kraakman, Chris Nietvelt, Frieda Pittoors, Gijs Scholten van Aschat, Harm Duco Schut, Bart Slegers, Eelco Smits (COMÉDIENS), Ruben Cooman, Yves Goemaere, Hannes Nieuwlaet, Christiaan Saris (MUSICIENS)
PRODUCTION TONEELGROEP AMSTERDAM.
COPRODUCTION BL!NDMAN (BRUXELLES) / DE MUNT – LA MONNAIE (BRUXELLES) / HOLLAND FESTIVAL (AMSTERDAM) / KAAITHEATER (BRUXELLES) / MUZIEKTHEATER TRANSPARANT (ANVERS).
AVEC LE SOUTIEN DE L’AMBASSADE DU ROYAUME DES PAYS-BAS À PARIS.
Durée 5h45 pauses comprisesChaillot – Théâtre National de la Danse
Du 29 juin au 5 juillet 2018
Juin
15h30 sam 30
18h ven 29
Juillet
11h30 dim 1er
18h mer 4, jeu 5Salle Jean Vilar
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