La saison 17/18 du Théâtre Déjazet accueille une programmation ambitieuse conçue par Jean-Louis Martinelli sur invitation du directeur Jean Bouquin. Depuis quelques années, ce théâtre du boulevard du Temple – unique survivant du « boulevard du Crime » – n’affichait pas de choix clairs, programmant tour à tour des one-man-show, quelques pièces de théâtres et des soirées hommages. Mais il n’en a pas toujours été ainsi…
La parcelle de terrain qui accueille aujourd’hui le Déjazet est un lieu de spectacle depuis la fin du XVIIIe siècle. D’abord dévolu à la pantomime et à la musique légère, accueillant même certaines représentations des pièces de Jacques Offenbach, Pauline Virginie Déjazet rachète les lieux en 1859. C’est elle qui lui apporte son nom et son statut véritable de « théâtre ».
Déjazet est une actrice importante du Paris du XIXe siècle, certainement l’une des plus populaires. Elle peut jouer tous les rôles mais elle est surtout connue pour « porter à ravir les costumes masculins », selon un guide vendu aux visiteurs étrangers en 1855. Elle a commencé à incarner les travestis depuis son plus jeune âge, au Théâtre des Capucines ou au Théâtre du Vaudeville. Elle ira même jusqu’à triompher dans un rôle de « jeune premier » au Théâtre du Gymnase en 1821, elle a alors 23 ans. A travers sa longue carrière, elle interprètera Voltaire, Rousseau, Napoléon ou encore Henri IV, mais aussi des personnages de son temps tel Monsieur Garat dans la célèbre pièce éponyme de Victorien Sardou.
C’est d’ailleurs Victorien Sardou qui lui a donné le courage d’investir dans le théâtre qui porte aujourd’hui son nom. La directrice est parmi les premières à croire en le talent de l’aïeul de Michel. Depuis le mois d’octobre 1857, elle cherchait en effet à faire jouer dans tout Paris le Candide du jeune auteur. Mais face au refus catégorique de tous les directeurs de théâtres, elle décide de devenir elle-même directrice pour programmer son favori ! Manque de chance, une fois le théâtre acquis à l’été 1859, la pièce ne coupe pas à la censure impériale. Sardou doit écrire un nouveau texte pour l’inauguration du théâtre qui aura lieu le 27 septembre de la même année. Il s’y attèle avec Louis-Émile Vanderburch pour produire Les Premières armes de Figaro où Virginie Déjazet jouera le rôle-titre.
La comédienne dirigera ce théâtre pendant une dizaine d’années, où elle passait également beaucoup de temps en tournée afin d’en éponger les dettes. Elle y donnera ses adieux en juin 1870 avant de revendre les lieux, peu avant sa mort en 1875.
Au XXe siècle, sous divers noms, le Déjazet connaîtra quelques succès, notamment 3000 représentations sur 20 ans de « Tire-au-flanc » d’André Mouëzy-Éon et André Sylvane avant son adaptation au cinéma en 1928 par Jean Renoir. Pendant la Deuxième guerre mondiale, il se sert de décor au film Les Enfants du Paradis de Marcel Carné. De la fin des années 1980 au années 90, le théâtre deviendra la place forte de l’anarchisme parisien sous le nom de Théâtre Libertaire de Paris et il accueillera, entre autre, Léo Ferré. Cette année, une nouvelle page de l’histoire du Déjazet est en train de s’écrire, bien futé est celui qui saura où elle mènera cette salle que trois siècles contemplent.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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