Comédie de zombies loufoque et politique, Les Méritants traverse les genres avec aisance. Julien Guyomard y déploie un regard subtil sur le totem du mérite tel qu’il est utilisé dans nos sociétés à partir d’une fiction post apocalyptique et surtout très drôle. Un spectacle original et artisanal à la fois, qui fait rire en même temps qu’il stimule la pensée.
Sait-on exactement ce que sont les zombies ? Ces morts-vivants rendus célèbres par le clip Thriller de Michael Jackson qui s’éparpillent dans les rues de nos villes le 31 octobre depuis que la folie d’Halloween a traversé l’Atlantique. Vaguement ridicules, les yeux tout blancs, les cheveux sales et ne s’exprimant que par des râles effrayants, que nous veulent-ils exactement ces morts-vivants ? La première partie de la pièce de Julien Guyomard joue d’abord sur le flou de leur statut pour mettre en place une dystopie de manière assez hilarante. Nous voilà plongés dans une communauté de survivants de l’apocalypse. On ne sait pas très bien de quel ordre,cette apocalypse, mais tout laisse à penser qu’elle serait successive à l’effondrement créé par les dérèglements climatiques. Dans cette communauté, on a su s’organiser pour créer une société résiliente et de nouvelles conditions de vie. Sobriété, auto-suffisance et protection vis-à-vis de l’extérieur sont les préoccupations essentielles du comité qui la dirige même s’il cherche un maximum d’horizontalité dans les processus de décision. Jusqu’ici tout va bien, ou presque.
Un jour, une cohorte de zombies frappe à la porte. De l’autre côté des barricades dressées à la va-vite, une masse innombrable d’entre eux se presse – ils sont cent fois plus que ceux de l’intérieur – et fait coucou comme ça avec la main qu’ils agitent lentement. On ne sait pas très bien ce qu’ils veulent vu qu’ils s’expriment peu, ou par des râles rauques et incompréhensibles. La scène de première rencontre avec l’un d’eux vaut vraiment son pesant de sucreries (d’Halloween naturellement). Clairvius, c’est ainsi que les humains vont le nommer, s’avère finalement bonhomme, pas du tout menaçant et même assez volontaire pour prendre sa part dans les travaux communautaires. Il sera donc rapidement accepté étant donné sa force de travail. On assiste sans le savoir encore à la naissance d’un transfuge de classe, qui va quitter la foule des citoyens de seconde zone pour intégrer la caste des méritants.
Car la comédie écrite et mise en scène par Julien Guyomard devient ensuite de plus en plus sérieuse. D’éclatant au départ, le rire se fait alors plus intérieur au fur et à mesure que la troupe déploie et décline les dimensions successives de son allégorie. En effet, petit à petit, les zombies vont être utilisés pour travailler mais surtout considérés par la communauté comme des citoyens inférieurs, le spectacle tissant alors de multiples échos d’avec nos propres structures sociales. Rengaine du mérite, mécanismes d’évaluation, exception élevée au statut de modèle, la vie de cette communauté post-apocalyptique ressemble de plus en plus à la nôtre avec ses cellules de formation pour chômeurs, ses discussions politiques et autre affiches de campagne. Le spectacle devient alors plus parlant que drôle et Les Méritants pénètre petit à petit les processus de domination à l’œuvre dans les rapports sociaux, et ce, avec d’autant plus de malice et de subtilité, qu’ils s’imposent via un discours globalement progressiste, bienveillant et orienté en apparence vers la quête du bonheur pour tous. Une subtile tyrannie des idéologies prégnantes que la pièce, portée par une belle bande de comédiens et dans une théâtralité simple, traque et démonte, jusque dans ses mécanismes les plus cachés, ceux auxquels même on serait tenté d’adhérer. Edifiant !
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Les Méritants
de Julien GuyomardAvec
Xavier Berlioz, Julien Cigana, Sol Espeche, Damien Houssier, Agnès Ramy, Renaud Triffault, Elodie Vom Hofe
collaboration dramaturgique Damien Houssier, Élodie Vom Hofe s
cénographie Camille Riquier
lumières Alexandre Dujardin
son Thomas Watteau
costumes Benjamin Moreau
régie lumières Juliette Oger-Lion
direction compagnie Élodie Vom Hofe
production Agathe Perrault – La Kabane administration Catherine Forêt diffusion Clémence Martens – Histoire de… presse La Strada – Catherine Guizard & Cies
production Scena Nostra en coproduction avec Nanterre-Amandiers – CDN, le Théâtre Roger Barat, l’EMC – Saint-Michel-sur-Orge, le Nouveau Relax – scène conventionnée de Chaumont avec le soutien du PIVO – pôle Itinérant en Val d’Oise – scène conventionnée art en territoire, de la DRAC Ile-de-France en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête. La compagnie Scena Nostra est soutenue par la région Ile-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle.Durée : 2h
Théâtre de la Tempête
du 22 septembre au 22 octobre 2023
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