Inspirée par le livre éponyme d’Ovide, qui imagine les lettres d’héroïnes mythologiques à leur amant volatilisé, Flávia Lorenzi en choisit sept et les habille d’un nouveau destin contemporain. Jouant d’allers-retours chronologiques et musicaux, ce spectacle pétaradant bénéficie de l’énergie roborative de ses six comédiennes aux voix puissantes.
Quel est le point commun entre Ariane, Pénélope, Médée, Hypsipyle, Déjanire, Hélène et Didon ? Hormis qu’elles sont toutes des figures mythologiques qui ont traversé les siècles ; et hormis leur destin funeste dans l’ombre d’hommes volages, inconstants, lâches, voire tyranniques ? Ovide, dans un recueil de poèmes intitulé Les Héroïdes, leur a écrit à chacune une lettre imaginaire adressée à leur amant défaillant. L’œuvre en compte une vingtaine. La metteuse en scène Flávia Lorenzi en a retenues sept, point de départ d’une dramaturgie qui opère sans cesse, et avec brio, des allers-retours féconds entre le passé et le présent, entre ces héroïnes de fiction et les comédiennes qui les incarnent, entre parole et chant, mixant les références et les genres sans que cela ne soit ni cacophonique, ni dépareillé. Au contraire, l’harmonie règne sur ce plateau investi par six interprètes remarquables et tout-terrain, aussi à l’aise dans le jeu, le chant et la danse, pleines d’une vitalité réjouissante et d’une féroce envie d’en découdre avec le patriarcat qui truste nos fictions depuis l’Antiquité.
Les Héroïdes est un spectacle cathartique qui aime les grands écarts, entre jean et paillettes, chant lyrique et rock’n’roll, baskets et talons hauts, rage et désespoir, choralité et solo, et fonctionne par glissements successifs. C’est un spectacle en forme de revanche aussi, de réponse à ces récits écrits dans le marbre de l’Histoire. Libres et délurées, nos héroïdes ne s’en laissent plus compter, reprennent leur destin en main et ne font qu’une bouchée de ces mâles dominants obnubilés par la guerre, le pouvoir, les conquêtes – qu’elles soient féminines ou de territoire. Les références sont légion et nourrissent le propos, de la bouleversante lettre de Niki de Saint Phalle à sa mère à l’extrait final du manifeste féministe d’Hélène Cixous, Le Rire de la méduse, invitant les femmes à écrire et s’écrire. On croise aussi la chanson de Barbara Quand reviendras-tu, idéale pour le rôle de Pénélope, en version slam, Boys don’t cry de Cure en polyphonie a capella, India Song puisée chez Marguerite Duras ou encore la Médée cinématographique de Pasolini incarnée par Maria Callas.
C’est un festival de séquences toutes plus inventives et drôles les unes que les autres, construisant avec peu des ambiances disparates, mais néanmoins cohérentes, et esthétiquement superbes. La robe d’Hypsipyle, hiératique et immaculée, ondulant sous le vent, offre une image des plus belles, la remise de la médaille olympique à Hercule vaut son pesant d’or et le rap satirique qui égrène ses exploits dans une réinterprétation actuelle une trouvaille jubilatoire. Les Héroïdes est une œuvre mouvante, jamais figée dans un style, qui réinvente différentes façons de faire chœur, qu’il soit parlé ou chanté, qui jamais n’oublie le corps, puissamment investi, engagé, et nourrit un rapport de complicité au public qui fait son effet.
Capable de passer d’envoûtantes polyphonies au rythme jazzy de la comédie-musicale, la partition est portée par le souffle épique de son sujet autant que par l’humour avec lequel cette équipe féminine s’en empare et se réapproprie ces histoires. Jouant sur les différents degrés de fiction, s’autorisant tous les formats, du show télé à la danse contemporaine, toutes les réécritures, d’Hélène la pin-up en burn-out à Médée la révoltée, en passant par le jugement de Déjanire accusée du meurtre de son époux, ce spectacle pétillant pétri de fantaisie affiche un féminisme joyeux et plein d’allant.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Les Héroïdes
Création collective d’après Ovide, avec des textes de Hélène Cixous, Ana Maria Martins Marques, Niki de Saint-Phalle, Ovide et l’ensemble de l’équipe de comédiennes
Mise en scène et dramaturgie Flávia Lorenzi
Direction musicale Baptiste Lopez
Avec Alice Barbosa, Capucine Baroni, Juliette Boudet, Laura Clauzel, Lucie Brandsma, Ayana Fuentes-Uno
Assistante à la mise scène Manu Figueiredo
Préparation corporelle Luar Maria
Scénographie et accessoires Baptiste Lopez
Costumes Charlotte Espinosa avec la collaboration de Veronica Réndon
Création lumière Robson Barros (adaptation Moïra Dalant)
Graphisme et vidéo Fernanda FajardoProduction Cie BrutaFlor
Coproduction Quai des rêves – Scène de Territoire (Lamballe – Armor) et Équinoxe – Scène Nationale de Châteauroux
Avec l’aide de la DRAC Ile-de-France (aide à la création 2023), Spedidam, Adami et Fonpeps (Ministère de la Culture)
Soutiens Théâtre 13, Théâtre du Soleil, Festival Fragments#9, Mains d’Œuvres et Le LoKalDurée : 1h25
Festival Off d’Avignon 2024
11 • Avignon
du 30 juin au 21 juillet (relâche les 1, 8 et 15), à 13h45
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