C’est l’histoire d’une fille ballottée entre les identités et les injonctions, soumise à des traditions rétrogrades qui portent atteinte à sa liberté. Nathalie Bensard a imaginé un conte subtil et sensible, adapté au jeune public, idéal pour sensibiliser à ce sujet. Elle déploie sa fiction dans une mise en scène qui favorise une ingénieuse poésie visuelle.
Il était une fois, dans un pays sans nom, une histoire vraie. Celle d’Eli né Ella, celle d’Ella devenue Eli. Car Ella naît fille dans un pays où il ne vaut mieux pas. Surtout lorsqu’on est la quatrième d’une fratrie de soeurs. Pour se protéger de la honte de ne pas avoir de fils, ses parents décident de l’élever en garçon. L’enfant partage donc les premières années de sa vie entre deux genres : fille dedans, à l’intérieur de la maison ; garçon dehors, dans la vie sociale. Seuls les étés où elle s’éloigne du village pour aller chez sa grand-mère au bord de la mer lui permettent de recouvrer sa véritable identité, de renouer avec la liberté d’être elle-même, sans assignation, ni entrave. Mais à l’approche de ses 13 ans, Ella doit abandonner Eli pour se marier. Nouvelle injonction, nouveau rôle à jouer. Dans ce pays-là, naître fille oblige à toutes les contorsions, les distorsions, les soumissions, à être le jouet des autres, un pantin manipulé par une société enferrée dans le poids et le piège de ses traditions.
La pièce de Nathalie Bensard est d’une immense subtilité. Elle s’adresse à toutes les générations, sans restriction, puisque d’une réalité inhérente à certains pays – l’autrice s’est inspirée d’une pratique culturelle ayant court dans certaines régions d’Afghanistan et du Pakistan –, elle fait une fable métaphorique. À la mise en scène également, elle fait le choix de dédoubler son héroïne écartelée afin d’incarner physiquement, au plateau, sa double identité. Dans une gémellité qui passe par le costume et la choralité – certains passages du récit sont exprimés à l’unisson, à deux voix –, les deux comédiennes de talent, Juliette Prier et Diane Pasquet, se partagent la narration autant que les personnages secondaires : la grand-mère, la mère, le père, le prétendant.
Après un préambule face public où elles s’adressent à nous en tant que comédiennes, elles entrent dans la fiction en nous invitant à les suivre et le procédé fonctionne à merveille. On adhère immédiatement et l’on s’attache à cette histoire contée au long d’une alternance bien dosée de récit et de dialogues dans un décor ingénieux au possible. Bâches et paravents suspendus construisent un environnement textile qui résonne avec le titre du spectacle et habillent littéralement les personnages. En cela, la scène de la naissance est particulièrement saisissante, tout comme celle de l’essayage de la robe en vue du mariage, qui traduit visuellement l’enfermement auquel Ella est promise : une robe camisole, prison dorée, entravant son corps. Le plateau devient le terrain d’une géographie imaginaire qui nous fait passer du papier peint de la maison aux vagues du bord de mer, de la boutique paternelle à la table familiale.
L’ensemble est ingénieux, voire très astucieux, et permet une dynamique fluide et haletante qui nous tient de bout en bout et nous attache à ce destin hors du commun. On n’en dira pas plus, de peur de déflorer l’intrigue, mais le vent tourne, la vie tend des perches à Ella qui saura les attraper sans peur. Le mauvais sort initial sera renversé par la grâce d’un retournement de situation inespéré. Les Filles ne sont pas des poupées de chiffon est un spectacle tout en nuances, porté par une poésie visuelle autant que textuelle et des comédiennes complices et solides qui ne surjouent jamais l’enfance. Une épopée intime émancipatrice qui fait du bien, à n’importe quel âge, et sensibilise sur un sujet malheureusement encore d’actualité.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Les filles ne sont pas des poupées de chiffon
Écriture et mise en scène Nathalie Bensard
Avec Diane Pasquet, Juliette Prier, François Lepage
Création et régie lumière Franck Besson
Composition musicale Seb Martel
Scénographie Delphine Brouard
Costumes et accessoires Elisabeth Martin-Calzettoni
Assistanat mise en scène Margot Madec
Construction Mathieu Bonny
Regard chorégraphique Anne-Emmanuelle Deroo
Vidéo Marion Comte
Stagiaire Yolène Forner d’OrazioProduction Compagnie la Rousse
Co-production La TRIBU (Le Carré Sainte Maxime, Théâtre Durance- Château-Arnoux/Saint-Auban,
Théâtre de Grasse, LE PÔLE Le Revest, Théâtre Massalia Marseille, Scènes & Cinés), le Théâtre du
Beauvaisis- Scène Nationale, le Strapontin Scène de territoire pour les arts du récit à Pont Scorff, la Maison des Arts et Loisirs de Laon, La Minoterie à Dijon, le théâtre le Hublot à Colombes, le Carré Sainte-Maxime, la ville de Pantin et le Théâtre Victor Hugo à Bagneux
Avec le soutien du Fonds SACD Musique de ScèneDurée : 55 min
Festival Off d’Avignon 2024
La Scierie
du 3 au 21 juillet (sauf les 8 et 15), à 11h35
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