A l’Azimut, le jeune dramaturge et metteur en scène tente de dresser le portrait de son père, mi-artiste, mi-escroc, mais se perd rapidement dans un dédale théâtral poussif à bien des égards.
2022 recommencerait donc là où 2021 s’était arrêtée, aux côtés d’artistes en lutte avec leur héritage familial, en proie à ce legs filial qui, à leur corps défendant, a façonné leur destinée. Quand dans le troisième volet de son cycle Domestique, donné en fin d’année dernière à La Colline, Wajdi Mouawad brossait le portrait de sa mère, Jacqueline, au fil d’une ode intime qui ouvrait les portes de la fabrique d’un homme-artiste et de ses souvenirs, Igor Mendjisky cherche, quelques semaines plus tard, sur le plateau de L’Azimut, avec Les Couleurs de l’air, à éclaircir celui de son père, disparu en mai 2017. Etrange parallélisme des fonds qui ne se meut pas pour autant en parallélisme des formes, tant les approches des deux artistes ont bien peu en commun. Là où le premier sautait à pieds joints dans le passé pour reconstituer une partie de son enfance, le second préfère en passer par la bande fictionnelle et inventer un système de matriochkas dramaturgiques qui, à force de multiplier les pistes, se transforme en labyrinthe textuel.
S’il s’est bel et bien inspiré de son histoire familiale, et de son expérience du deuil, pour tricoter son récit, Igor Mendjisky a choisi de se mettre lui-même en abyme et de se créer un double en la personne d’Ilia, un jeune réalisateur parti à Moscou pour tourner un film sur la vie de son père, et sur sa face cachée. Artiste-peintre de renommée mondiale, l’homme était aussi un escroc, enfermé dans ses mensonges, enserré dans un système de Ponzi artistique que la plupart de ses enfants n’ont découvert qu’à sa mort, face au notaire : à ses plus gros clients, il promettait d’acheter des toiles de maître à des prix défiant toute concurrence pour les revendre, par la suite, au prix fort, alors que ces tableaux n’ont, en réalité, jamais existé. Pour dessiner les contours de cette sulfureuse figure, Igor Mendjisky a opté pour le dédale, au détriment de la simplicité, et empilé les couches narratives qui s’étalent du plateau de tournage et de la chambre d’hôtel du réalisateur, en proie à ses fantômes et à ses doutes personnels et professionnels, jusqu’aux scènes du film qu’il est en train de tourner, voir jusqu’aux flashbacks provoqués par les situations de jeu en elles-mêmes, de sorte qu’il devient parfois difficile de s’y retrouver.
Un enchevêtrement kafkaïen qui n’est que le reflet d’un travail préparatoire sans doute hypertrophié. Loin de se contenter de son regard, et de ses souvenirs, le dramaturge et metteur en scène a mené l’enquête auprès de ses proches pour collecter des éléments biographiques, auxquels il a adjoint, au gré de son processus d’écriture en trois temps, des fragments trouvés au plateau par ses comédiens, puis retravaillés par ses soins. Le tout accouche d’un patchwork théâtral qui paraît tirer à hue et à dia jusqu’à ne plus savoir clairement vers quelle direction s’orienter. Tandis que l’idée du film apparaît rapidement comme une fausse-bonne astuce dramaturgique, qui contraint Igor Mendjisky à faire la maladroite exégèse de son récit, le spectacle patine et perd de vue le portrait paternel de ses débuts, lui préférant une voie pseudo-freudienne qui explore malhabilement le rapport du fils au père, à ce que l’on hérite, ou craint d’hériter, de lui, et qui s’altère dans une tentative, aussi désespérée que téléphonée, de le tuer.
En dépit du thème porteur, l’exécution se révèle plus que poussive. Au lieu de s’ouvrir, Les Couleurs de l’air se recroqueville et tourne, dans sa troisième partie, au conte psychanalytique qui, plutôt que de chercher à toucher à l’universel, à sortir du cadre intime – peut-être trop –, s’abîme en interminables bavardages. Un enfermement progressif auquel la mise en scène ne fait, en définitive, et malheureusement, que concourir. Pauvre en idées, un rien systématique et déjà-vu, elle ne parvient à donner aucun souffle à l’ensemble et le condamne, tout juste, à un faux rythme. Reste, malgré tout, les comédiens qui, sans jamais démériter, ne produisent pas ces étincelles qui permettraient – mais le pourraient-elles vraiment ? – d’enflammer le plateau. Tout portant alors à croire que si Igor Mendjisky avait, au fond de lui, un besoin viscéral, voire vital, de réaliser ce spectacle, il n’a trouvé ni les moyens, ni la clef, pour le partager avec le plus grand nombre. Jusqu’à se perdre dans les méandres qu’il s’est lui-même, égaré dans une valse et permanente hésitation entre confessions intimes et mise à distance, échiné à créer.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Couleurs de l’air
Texte et mise en scène Igor Mendjisky
Avec Raphaèle Bouchard en alternance avec Alexandrine Serre, Pierre Hiessler, Igor Mendjisky, Hortense Monsaingeon, Thibault Perrenoud, Juliette Poissonnier, Esther Van den Driessche, Jean-Paul Wenzel, Yuriy Zavalnyouk
Dramaturgie Charlotte Farcet
Lumière Stéphane Deschamps
Musique Raphaël Charpentier
Costumes May Katrem, Sandrine Gimenez
Vidéo, son Yannick Donet
Scénographie Claire Massard, Igor Mendjisky
Assistant mise en scène Arthur Guillot
Construction des décors Jean-Luc MalavasiProduction C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord & Moya Krysa
Coproduction Le Grand T, Théâtre national de Loire-Atlantique ; L’Azimut – Antony & Châtenay-Malabry ; Les Célestins, Théâtre de Lyon ; Théâtre et cinémas de Saint Maur ; Théâtre Romain Rolland Villejuif ; ACTIF – Association culturelle de théâtres en Île-de-France ; EMC – Saint-Michel-sur-Orge ; Cercle des Partenaires des Bouffes du Nord
Le projet est soutenu par l’Adami Déclencheur et par la DRAC Île-de-France
Le texte de la pièce est édité chez Actes-Sud Papiers. Il est lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA.Durée : 3h10, entracte compris
L’Azimut – Théâtre La Piscine, Châtenay-Malabry
du 5 au 9 janvier 2022Théâtre du Vésinet
le 21 janvierThéâtre Romain Rolland, Villejuif
les 28 et 29 janvierThéâtre de Corbeil-Essonnes
le 4 févrierEspace Marcel Carné, Saint-Michel-Sur-Orge
le 17 févrierThéâtre des Bouffes du Nord, Paris
du 3 au 19 novembre
J’ai apprécié cette pièce que je vous conseille vivement pour son superbe jeu d’acteurs, son comique, son registre d’émotions haut en couleurs, sa mise en scène riche en mouvements et en outils de communication. Le public rit aux éclats jusqu’au deuil du père à proprement parlé, puis ce fut un véritable partage de ressentis plus émouvants les uns que les autres. Le spectacle de 3 heures passe à une allure folle tant la mise en scène et les comédiens sont percutants.
Les tableaux successifs, nous ont emmenés à découvrir la vie de Samuel un artiste peintre hors normes et manipulateur et les effets de ses agissements sur ses femmes et ses enfants. Le thème extrêmement bien abordé est emprunt de vérité car il s’agit du vécu de l’acteur qui de surcroît a de réelles compétences d’auteur. Au final, Ilias le fils dans la pièce, réussit à casser le cordon avec ce père qui il a découvert être un tricheur, menteur dans les grandes largeurs