Avec L’Enfant, Élise Vigneron fait de La Mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck une expérience immersive. Une intéressante mais inaboutie traversée entre vie et mort. Entre coulisses et plateau.
La marionnette, pour Maurice Maeterlinck (1862-1949), doit être vecteur de poème. En écartant l’être vivant de la scène, elle doit permettre à celle-ci d’accéder aux grands mystères de l’existence. À ses zones indicibles, invisibles. À ses vertiges métaphysiques, qui dans La Mort de Tintagiles (1894), la dernière pièce du dramaturge belge écrite pour la marionnette, prennent une forme proche du conte pour enfants. Un conte où Ygraine et Bellangère vivent sur une île avec leur vieux serviteur Aglovale. Une sombre fable qui s’ouvre sur le retour de Tintagiles, leur petit frère. Un garçon mutique, dont la fragilité réveille la cruauté d’une reine dévoreuse d’âme qui déploie du haut de sa tour ses forces occultes pour s’emparer de lui. Et pour écraser la résistance de ses sœurs.
En s’emparant librement de ce court texte, Élise Vigneron poursuit la passionnante recherche qu’elle mène depuis 2009 à la tête de son Théâtre de l’Entrouvert. Sa quête d’une « vision contemporaine des arts de la marionnette, tout en s’inspirant de ses origines », lit-on sur le site internet de la compagnie. En creusant « un langage plastique qui parle directement, aux sens, à l’inconscient » afin de « plonger les spectateurs dans une expérience intime et commune ». Elle y réussissait avec grâce dans Anywhere (2016), où la figure d’Œdipe vue par Henri Bauchau constituait la base d’un poème de glace et de feu sans paroles. Avec seulement quelques mots projetés en fond de scène, pour accompagner la fonte du fils de Laïos et de Jocaste.
En optant dans L’Enfant pour un parcours déambulatoire, l’artiste décline d’une manière nouvelle un des thèmes centraux de son travail : celui de la traversée. Du passage, ou de l’errance entre la vie et la mort. Entre le visible et l’invisible. Au Théâtre du Gymnase à Marseille, où il a pour la première fois été créé in situ et joué du 26 au 28 février 2019, on pénètre ainsi dans le spectacle en découvrant les profondeurs du lieu. Éclairé par des néons bleus, le chemin étroit, labyrinthique et ponctué par les troublantes apparitions de la marionnettiste Sarah Lascar et de la comédienne Stéphanie Farison, débouche sur un espace jonché de débris. Avec au milieu, dans un nuage de fumée, un enfant taillé dans une matière indéfinissable. Un Tintagiles à fils, qu’une Élise Vigneron cachée dans l’ombre fait bientôt léviter. Puis disparaître. Ce n’est qu’une fois la tragédie arrivée à son terme que nous serons sûrs de l’endroit où nous sommes : sur le plateau du théâtre.
Tout en suivant les cinq actes de La Mort de Tintagiles, Élise Vigneron en livre une adaptation assez libre. Non linéaire. En opérant bon nombre de coupes, en mettant tous les mots de la pièce dans la bouche de Stéphanie Farison, la metteure en scène fait entendre la poésie du texte sans s’attacher aux détails du récit. Au risque d’empêcher la compréhension de ses grandes lignes. S’il séduit, le déplacement qu’elle offre au spectateur, l’étrange et le tragique que suggère bien son subtil travail autour de la matière, peinent à atteindre la dimension métaphysique de Maeterlinck. Beaucoup plus présent et réaliste que dans Anywhere, le jeu a aussi parfois tendance à se dresser entre le spectateur et l’objet. Alors que pour Maeterlinck, la marionnette devait guider l’acteur sur le chemin de l’inanimé. Vers une parole des origines. Dans son voyage, Élise Vigneron n’arrive donc pas tout à fait à destination. Certaines belle étapes, toutefois, justifient largement l’expédition.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’Enfant
Texte : Maurice Maeterlinck (Adaptation de La Mort de Tintagiles)
Mise en scène, scénographie, manipulations : Élise Vigneron
Avec Sarah Lascar (marionnettiste), Stéphanie Farison (comédienne)
Régie son lumière : Sarah Marcotte
Dramaturgie : Manon Worms
Direction d’acteurs : Argyro Chioti
Création lumière, Machinerie : Benoît Fincker
Bande son : Pascal Charrier, Julien Tamisier, Géraldine Foucault
Regard extérieur : Hélène Barreau
Construction : Benoît Fincker, Philippe Laliard
Accompagnement sur le dispositif déambulatoire : Karin Holmström
Costumes : Danielle Merope-Gardenier
Collaboration plastique et construction marionnette : Arnaud Louski-PaneAdministration, production : In’8 circle, maison de production
Remerciements Myriam Rouxel, Jean-Louis Larcebeau, Maya-Lune Thieblemont, Gérard Vigneron, Martine LascarDurée : 1h
FESTIVAL MONDIAL DES THÉÂTRES DE MARIONNETTES 2019
Vendredi 20 septembre 18h
Samedi 21 septembre 14h & 19h
Dimanche 22 septembre 12h & 16h & 20h (version anglaise)
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