Au Théâtre Public de Montreuil, le collectif Bajour présente sa nouvelle création en forme d’ode faussement futile, et vraiment prenante, à la jeunesse et à la construction de soi.
Après À l’Ouest, et Bob et moi, le prolixe collectif Bajour revient au Théâtre de Montreuil pour croquer, à nouveau, les tumultes de la vie. Avec L’Éclipse, il propose un « spectacle de formation », comme on dirait un roman de formation ou d’initiation, une « éducation sentimentale » qui se déroule à la fin des années 1990, et qui met en scène une bande de camarades issue d’un milieu modeste, forcément en proie aux espoirs et aux tourments propres à l’adolescence où tout se vit avec une intensité exacerbée. Conformément au principe de temporalité déréalisée que la compagnie a l’habitude d’installer sur les plateaux, on retrouve ces personnages vingt ans plus tard, dans le même décor, celui de l’établissement scolaire de Baume-les-Messieurs, au fin fond du Jura. Le récit avance au mépris de sa chronologie et superpose les deux époques : celle des années collège où les comédiens jouent à la fois les élèves et leurs professeurs ; et celle où, répondant à la promesse qu’ils s’étaient faite de se revoir à l’occasion de la disparition passagère d’un astre, ils se retrouvent. Les lieux vides et désaffectés suintent l’usure du temps : toiture tombante et trouée, murs noircis et visiblement ravagés, tout semble être parti en fumée. Mais c’est un tout autre feu qui habite les lieux : la flamme intérieure qui brûle de jeunes êtres en quête de découverte et de construction de soi, la vérité dramatique et incendiaire qui va sans crier gare être dévoilée.
Si un nombre considérable de spectacles traite – souvent très bien d’ailleurs – de l’adolescence, c’est que le thème est viscéralement porteur et rassembleur. Tout le monde, à tous les âges, semble goûter le plaisir de s’y replonger, de se laisser cueillir par l’émotion, entre euphorie et nostalgie, que sa remembrance laisse gentiment affleurer. L’Éclipse produit indéniablement cela. C’est dans ce fin moment de bascule entre l’enfance et la maturité que se glissent Leslie Bernard et Matthias Jacquin. Ils mettent en scène une bande d’élèves de troisième pleins de rêves, d’envie et de vie, aspirant à devenir danseuses et danseurs classiques, connaissant les difficultés et l’exigence d’une telle pratique artistique, se donnant les moyens acharnés d’y parvenir tout en faisant les fous comme des gosses. Dans un jeu hyper engagé, l’équipe de comédiens endosse ces rôles avec alacrité et jubilation. Ils jouent à adopter les postures, les mimiques, les tics, la juste dose d’énergie velléitaire et vitaminée comme de versatilité émotionnelle propre à exprimer, dans les rires, les pleurs et l’excès, les premiers émois sentimentaux, la naissance du désir et des fantasmes sexuels, mais aussi les questions et les tensions, inévitables. Autant d’éléments que le spectacle rend charnellement sensibles.
La pièce, dotée d’une forte dimension chorale, se présente comme un tableau géant sur lequel sont dépeints, à la fois, ce qui permet à chacun de s’émanciper et la brutalité sourde et destructrice qui entrave cette évolution espérée. La fiction racontée laisse place à des moments de pure allégresse, mais elle bascule aussi dans la crise et le drame lorsque se découvrent plusieurs événements traumatiques qui viennent fragiliser l’effervescence généralisée : le départ inopiné de l’un des camarades, renvoyé après un acte de rébellion que personne n’avait vu venir, la difficulté à s’assumer tel que l’on est, l’accroissement des rivalités cristallisées par l’arrivée d’un nouveau professeur de danse, dont les méthodes ambiguës déstabilisent les élèves alors que se prépare un spectacle de fin d’année, l’insupportable apparition d’une violence sexuelle exercée par celui-ci sur une élève. La comédie côtoie la tragédie, et ce mélange des tonalités irrigue une représentation dont la large palette d’émotions communiquées bouleverse.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
L’Éclipse
Une création collective de Bajour
Mise en scène Leslie Bernard, Matthias Jacquin
Avec Julien Derivaz, Alicia Devidal, Douglas Grauwels, Hector Manuel, Asja Nadjar, Georges Slowick, Adèle Zouane
Scénographie Léa Jézéquel
Construction Émilie Godreuil, Clémence Levy, Gaetan Laville, Lynn Ojalvo, Coline Harang
Création lumières Brice Helbert
Création sonore Marine Iger
Musique Luc Jacquin
Régie générale Julien Joubert
Costumes Nathalie Saulnier, Hector ManuelProduction BAJOUR
Production déléguée Le Bureau des Paroles ; CPPC
Coproduction Le Quartz – Scène nationale de Brest ; Théâtre Public de Montreuil – CDN ; Théâtre de Cornouaille – Scène Nationale de Quimper
Soutien Théâtre de la Bastille – ParisBAJOUR est conventionné par le ministère de la Culture / DRAC Bretagne, et soutenu par la Région Bretagne et la Ville de Rennes et artiste associé au Quartz, Scène nationale de Brest et au Théâtre Public de Montreuil – CDN.
Durée : 2h
Théâtre Public de Montreuil
du 4 au 20 décembre 2024
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