Au Palais Garnier, le compositeur Thomas Adès, le chorégraphe Wayne McGregor et la plasticienne Tacita Dean explorent les mondes distincts de La Divine comédie dans une superproduction aussi fascinante que grandiloquente, visuellement et musicalement riche mais trop composite.
C’est une ambitieuse et exigeante traversée qu’invite à suivre la trinité d’artistes britanniques au cours d’un long ballet en trois parties correspondantes aux trois lieux supraterrestres visités successivement par Dante, lui-même guidé par Virgile, dans La Divine comédie. L’Enfer, le Paradis en passant par le Purgatoire, sont largement réinventés par Wayne McGregor, un chorégraphe davantage habitué à des pièces débarrassées d’un substrat narratif et qui étonnamment porte son attention sur un monument littéraire écrit au début du 14e siècle. Pour ce faire, il s’est associé au compositeur Thomas Adès dont l’œuvre symphonique au format conséquent multiplie les influences et les atmosphères les plus changeantes, et à l’artiste plasticienne Tacita Dean qui à travers trois médiums différents que sont le dessin, la photographie argentique et le film vidéo, s’intéresse à rendre palpable la fragilité et la fugacité du temps et des éléments. Musique, images et corps combinés se proposent comme la riche matière d’un voyage initiatique aussi dense que sensible. Créée au Royal Opera de Covent Garden en 2021 et désormais programmée à l’Opéra national de Paris, la pièce décline donc trois univers qui prennent place dans des espaces visuels et sonores énigmatiques. La partition musicale que Thomas Adès compose et dirige en fosse avec force conviction est aussi massive que bigarrée. Inspirée des réminiscences de la Dante-Symphonie de Lizst, et juxtaposant quantité d’autres éléments singulièrement hétérogènes enveloppés d’un fiévreux lyrisme, l’œuvre s’écoute comme un claironnant bouillon qui gronde et scintille avec une puissante force d’évocation.
L’enfer se présente comme un monde sens dessus-dessous. Sur un tableau noir de plusieurs mètres de long, sont dessinées à la craie des montagnes renversées qui se réfléchissent dans un miroir suspendu. Un noir bataillon de damnés affolés grouille avec angoisse dans l’obscurité infernale trouée de froides volutes de fumée blafarde. Le Purgatoire est davantage un espace urbain et serein sur lequel souffle le bruissement du vent et dont les tons pastel évoquent l’aube matinale. Le superbe entrelacement de chants liturgiques hébraïques enregistrés dans une synagogue à Jérusalem et du tapis orchestral plus solennel se fait une envoutante invitation à la méditation, tout comme le motif de l’arbre en floraison et la présence d’enfants ravivant le souvenir d’une jeunesse révolue sur le plateau. En guise d’apothéose, le Paradis se déploie comme un kaléidoscope de lumières et de couleurs hypnotiques qui rappellent l’opus électro-pop Tree of codes. L’énergie vitale d’une ribambelle de corps célestes et spiralés virevoltants stimule la perception et célèbre le renouveau.
L’écriture chorégraphique protéiforme et exponentielle de McGregor semble plus apaisée voire plus classique qu’à l’ordinaire. Toujours hypertoniques mais moins gesticulatoires, les corps happés dans un mouvement qui demeure frénétique se meuvent comme une matière plus souple et étirée, avec moins d’urgence et de nervosité que d’habitude. The Dante Project ne se définit pas comme un ballet illustratif, mais plutôt comme un champ d’exploration. Néanmoins partagée entre narration et abstraction, la pièce ne renonce pas complètement au récit mais le mâtine d’une puissance organique et en même temps d’une épure immatérielle. On y suit le poète lui-même sous les traits de Paul Marque, subtil et habité, Virgile (Arthus Raveau plus effacé), Béatrice (gracieuse Léonore Baulac) et furtivement d’autres figures mythiques à l’instar de Paolo et Francesca (Bleuenn Batistoni et Guillaume Diop incandescents). Doté d’une solidité dramaturgique et d’un impact visuel indéniable, le parcours émotionnel et spirituel qu’inspire la pièce a tendance à déborder de ses multiples intentions et de ses trop nombreux effets.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
The Dante Project
Entrée au répertoire
Ballet en trois actes
D’après Dante Alighieri, La Divine ComédieMusique
Thomas Adès (1971)Direction musicale
Thomas AdèsChorégraphie
Wayne McGregorDramaturgie
Uzma HameedDécors et costumes
Tacita DeanLumières
Lucy Carter
Simon BennisonCheffe des Chœurs
Ching-Lien WuAvec
Danseuse Étoile
Amandine Albisson,
Léonore Baulac,
Valentine Colasante,
Hannah O’NeillDanseur Étoile
Germain Louvet,
Paul Marque,
Marc MoreauPremière danseuse
Bleuenn Battistoni,
Héloïse Bourdon,
Silvia Saint-Martin,
Roxane StojanovPremier danseur
Pablo Legasa,
Jérémy-Loup Quer,
Arthus RaveauEt Irek Mukhamedov
Coproduction Opéra national de Paris, Royal Opera House
2h45 avec 2 entractes
Palais Garnier
du 03 au 31 mai 2023
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