A seulement 36 ans, Thomas Jolly fait trembler les murs du Palais des Papes. Préférant le fantastique au gore, armé d’une lecture limpide, il transforme la pièce de Sénèque en un drame tout feu tout flamme, quitte parfois à en faire trop.
Tel un signe annonciateur de vents mauvais, le mistral s’est levé dans la Cour d’Honneur. Le soleil à peine disparu, les ténèbres de Sénèque ont pu déferler sur le Palais des Papes et le transformer en berceau du pire des crimes. Après une longue aventure shakespearienne qui l’avait conduit sur les rivages d’Henry VI et de Richard III, Thomas Jolly a choisi l’une des tragédies les plus cruelles de la littérature antique, Thyeste, pour tenter de relever le défi de la Cour qui s’imposait à lui. Le dramaturge romain y orchestre l’histoire d’une vengeance extrême, sauvage, voire surnaturelle pour des oreilles contemporaines.
Fils de Tantale, Atrée et Thyeste se disputent le trône d’Argos. Alors que le premier régnait en paix sur Mycènes, son frère jumeau séduit sa femme et lui vole le bélier à toison d’or qui devait lui permettre, selon les règles fixées par Jupiter, de prendre la succession de son père. Face à cette double perfidie, Atrée entre dans une colère noire et échafaude un terrible stratagème. Revenu au pouvoir, il décide de mettre fin à l’exil de Thyeste et de le convier à un banquet pour sceller leur alliance nouvelle. Sans le savoir, il se délecte alors de la chair de ses propres enfants qu’Atrée a méticuleusement assassinés.
Vive, actuelle, tranchante, la traduction de Florence Dupont aiguise les mots de Sénèque et redouble la dureté d’un texte qui pourrait se perdre dans sa succession de longs monologues. Préférant le fantastique au gore, Thomas Jolly y appose une lecture limpide qui trahit sa fine compréhension des enjeux d’une pièce aux multiples ressorts. Pour éviter toute baisse de régime et faire monter en tension le drame irreprésentable qui se noue, le metteur en scène sort la Grosse Bertha scénographique, quitte à en faire trop. Souvent criarde, la création lumière d’Antoine Travert et Philippe Berthomé transforme la Cour d’Honneur en un chaudron scénique bouillonnant. De ses entrailles, sortent des faisceaux lumineux si puissants qu’ils éclairent le ciel avignonnais. Au rythme de l’omniprésente musique de Clément Mirguet, le Palais des Papes tremble alors sur ses bases, comme contaminé par l’implacable malédiction.
Au milieu de ce grand show, pris en étau entre une main vengeresse et un visage à la renverse, les comédiens tentent de se faire une place. Serti dans un magnifique costume jaune, Thomas Jolly endosse avec panache le machiavélisme d’Atrée, quand de sa voix rocailleuse reconnaissable entre mille, Annie Mercier incarne une majestueuse Furie. Tous deux dominent une distribution inégale où Damien Avice, régulièrement dans le rouge et handicapé par une diction malhabile, semble flotter dans le rôle complexe de Thyeste. Aux chants électro-hip-hop d’Emeline Frémont, chœur maîtrisé mais à la forme discutable, on préférera la performance des enfants des Maîtrise de l’Opéra-Comique et de l’Opéra Grand Avignon. Dans une ambiance spectrale, il baigne la Cour d’Honneur de leurs voix cristallines, comme une lueur d’espoir capable de transpercer le sombre chaos laissé par leurs pères.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Thyeste
Texte Sénèque
Traduction Florence Dupont
Mise en scène Thomas Jolly
Avec Damien Avice, Éric Challier, émeline Frémont, Thomas Jolly, Annie Mercier, Charline Porrone, Lamya Regragui, Charlotte Patel (violoncelle), Caroline Pauvert (alto), Emma Lee, Valentin Marinelli (violons)
Et la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique et la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Collaboration artistique Alexandre Dain
Scénographie Thomas Jolly, Christèle Lefèbvre
Musique Clément Mirguet
Lumière Philippe Berthomé, Antoine Travert
Costumes Sylvette Dequest
Maquillage Élodie Mansuy
Assistanat à la mise en scène Samy ZerroukiProduction La Piccola Familia, Festival d’Avignon, Théâtre national de Strasbourg (TNS), La Comédie de Saint-étienne CDN
Coproduction ExtraPôle Provence-Alpes-Côte d’Azur, La Villette (Paris), Théâtre de Caen, La Criée Théâtre national de Marseille, CDN de Normandie-Rouen, Théâtre de l’Archipel Scène nationale de Perpignan, Le Grand T théâtre de Loire-Atlantique, Célestins Théâtre de Lyon, anthéa théâtre d’Antibes, Le Liberté Scène nationale de Toulon
En partenariat avec l’Opéra Comique, l’Opéra Grand Avignon
Avec le soutien de la Région Normandie, du Département de Seine-Maritime et pour la 72e édition du Festival d’Avignon : Fondation SNCF, Spedidam
Avec l’aide des ateliers de construction du Grand T et des ateliers costumes du TNS
Avec la participation de Make Up Forever
Résidences La FabricA du Festival d’Avignon, TNS, Comédie de Saint-étienne
Durée: 2h3072e édition du Festival d’Avignon
Cour d’honneur
21h30
Du 6 au 15 juillet sauf le 1127 et 28 septembre – Archipel à Perpignan
16 au 19 octobre – Comédie de Saint-Etienne
6 au 8 novembre – Le Quai à Angers
14 au 20 novembre – Le Grand T – Nantes
26 novembre au 1er décembre – La Villette – Paris
Du 5 au 15 décembre – TNS – Strasbourg
19 et 20 décembre – Théâtre des Salins – Martigues
2019
25 et 26 janvier – Charleroi
31 janvier et 1er février – La Coursive – La Rochelle
12 au 16 février – Célestins – Lyon
6 au 8 mars – Théâtre de Caen
15 et 16 – Anthéa – Antibes
22 et 23 mars – Liberté – Toulon
28 au 30 mars – La Criée – Marseille
3 et 4 avril – Firmin Gémier – Châtenays-Malabry
24 au 28 avril – Théâtre du Nord – Lille
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