Aux Bouffes du Nord, le grand Peter Brook revient à La Tempête de Shakespeare. Avec Marie-Hélène Estienne, il en livre une version de toute beauté qui s’offre comme la quintessence de son geste essentialiste et universel.
De 1957 au début des années 1990, en Angleterre puis en France, à Paris, au festival d’Avignon et ailleurs, Peter Brook a monté et remonté l’ultime pièce de Shakespeare. Celle-ci continue de se présenter à lui comme une inépuisable matière d’exploration. A chaque reprise, le metteur en scène se confronte à l’énigme irrésolue d’une fable fantaisiste et complexe où cohabitent un monde réel et un monde surnaturel et où s’interrogent les thèmes fondamentaux que sont la filiation et la transmission, l’identité et l’altérité, la naissance du sentiment amoureux, la vengeance, le pardon, la quête de liberté.
La nouvelle version de La tempête actuellement présentée sur la scène mythique des Bouffes du Nord se distingue par sa concision et son épure. Coupé, le propos n’est pour autant jamais réduit. Au contraire, sa limpidité, son intelligibilité, sa profonde sensibilité font merveille. Quelques morceaux de bois sculptés meublent l’espace de jeu dépouillé qui s’apparente à une intrigante île imaginaire.
Venant d’horizons différents, les six acteurs constituent une distribution cosmopolite chère aux théâtre de Brook. L’humilité face au texte se combine à une formidable invention de chaque instant. Dirigés au cordeau dans une veine tantôt burlesque tantôt sérieuse, ils font feu de tout bois et mettent en valeur la profonde humanité de la pièce.
En long manteau de voyageur errant et solitaire, Prospero s’avance, pieds nus et muni d’un bâton de pélerin. Ery Nzaramba prête sa forte présence scénique au sage et puissant mage, ancien duc de Milan trahi par son frère. Sa fille, jeune ingénue un peu sauvageonne se présente sous les traits délicats de Paula Luna. Sylvain Levitte troque avec dextérité la couverture loqueteuse de l’esclave Caliban pour arborer le bel air du jeune et romantique naufragé Ferdinand. Il faut voir les amoureux mettre bout à bout de fines brindilles au sol puis mimer deux funambules tentant de se rejoindre. Leurs ombres unies dans une pudique étreinte, projetées sur le rouge vermillon des murs usés du théâtre soudainement nimbés du bleu de la nuit, disent toute la force de leur amour. Marilú Marini campe un Ariel vagabond et facétieux, fidèle disciple à l’esprit habile et léger. Le duo que forment Fabio et Luca Maniglio joue à fond la cocasse drôlerie d’intrépides soulards.
Dans une simplicité qu’on ne peut plus éloquente, le jeu pleinement concret, concentré, habité, révèle avec une impeccable justesse aussi bien les forces que les fragilités des personnages shakespeariens. Une malice, une profondeur et une poésie infinies font de cette Tempête un prodigieux moment de théâtre.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
TEMPEST PROJECT
Un spectacle issu d’une recherche autour de La Tempête de William Shakespeare
Adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Lumières Philippe Vialatte
Avec Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini et Ery Nzaramba
Chant Harué Momoyama
Spectacle en français (traduction Jean-Claude Carrière)
Production C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord
Coproduction Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis ; Scène nationale Carré-Colonnes Bordeaux Métropole ; Le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines-Scène Nationale ; Le Carreau – Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan ; Teatro Stabile del Veneto.
Le texte « Tempest project », adaptation de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne d’après la version française de Jean-Claude Carrière de La Tempête de William Shakespeare, est publié chez Actes Sud-Papiers.
Durée 1h20
Bouffes du Nord
Du 21 au 30 avril 2022
Du mardi au samedi à 20h30
Matinées les samedis à 15h30
Matinée le dimanche à 16h
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