Quel secteur pourrait supporter de voir son activité se contracter en un an dans des proportions aussi élevées ? Entre 25 % et 50 % de dates programmées en moins, c’est la perspective qui se dessine actuellement pour la saison 24/25 du spectacle vivant, dans un contexte où le budget du ministère de la Culture se voit amputé de 204,3 millions d’euros. Causes et conséquences d’une crise qui parait inéluctable.
« L’ACDN prévoit 15-20 % de baisse mais les chiffres de nos adhérents évoquent plutôt une réduction de moitié de dates programmées ». C’est à entendre régulièrement de très pessimistes remontées du terrain que Véronique Felenbok, co-présidente de L’Association des Professionnels de l’Administration du Spectacle (LAPAS), a sondé ses adhérents au sujet de la saison prochaine. 110 réponses plus tard, issues de professionnels travaillant pour 272 compagnies et artistes de toute la France (théâtre, danse et pluridisciplinaires majoritairement), et c’est une baisse de 56 % du nombre de dates programmées qui se fait jour ! « Les saisons sont quasiment toutes bouclées et ces chiffres ne devraient pas beaucoup évoluer, poursuit la directrice de production. C’est une situation grave qui aura des conséquences durables ».
Le son de cloche n’est pas plus rassurant du côté d’Atelier Théâtre Actuel (ATA), producteur majeur du secteur privé. Thibaud Houdinière, son co-directeur témoigne : « On a une baisse d’environ 25 % de dates programmées, et autour de nous, c’est parfois davantage. Le paradoxe, c’est que la fréquentation remonte et que le désir des spectateurs est revenu plus fort que jamais. Mais, à la suite de la crise Covid, comme les gens allaient beaucoup moins au théâtre, les municipalités ont réduit leurs budgets. Il y a un décalage dans le temps, et je doute aujourd’hui que ces budgets remontent ». D’où des conséquences déjà perceptibles pour cette fin d’année. « A Avignon, où les coûts ont flambé de 30 % depuis quelques années, on accompagnera beaucoup moins de spectacles dès cette année ».
« Même Michalik rencontre des difficultés »
Mais à terme, plus largement, c’est une restructuration majeure du secteur qui se profile pour Thibaud Houdinière. « Le ministère veut globalement que le théâtre privé se concentre sur Paris, que les scènes nationales servent aux tournées et que les salles municipales traitent plus avec les compagnies locales ». Avec aussi, pour ligne d’horizon, celle d’une réduction du nombre de créations. « C’est vrai qu’il y avait trop de spectacles. Une offre que les programmateurs ne pouvaient plus absorber. Mais moins de créations, c’est aussi moins d’échanges et de créativité. Et à l’heure actuelle, la politique des programmateurs est plutôt de privilégier des comédies avec des têtes d’affiche « vu à la télé » qui pourtant coûtent plus cher. Avec une autocensure croissante qui s’exerce aux détriments de spectacles plus ambitieux pouvant véhiculer des questions sociétales. Même Michalik, dont le Passeport traite de questions migratoires – pourtant d’une manière non clivante – rencontre des difficultés ». Une redistribution des cartes quantitative et qualitative destinée à creuser, pour Thibaud Houdinière, un nouveau fossé entre Paris et province, et qui risque aussi de causer du tort aux producteurs ne possédant pas de salles.
Côté théâtre public, la réduction du volume de création s’impose aussi comme perspective majeure, en corollaire du plan « Mieux produire, mieux diffuser ». Lancé en 2023 par la Direction Générale de la Création Artistique (DGCA), ce plan combine rationalisation économique et préoccupation écologique en cherchant entre autres à mutualiser la production et la diffusion et à allonger les temps de vie des spectacles. Si la course à la création est diagnostiquée comme problématique par l’ensemble du secteur, ce plan marche toutefois sur une ligne de crête en raison de ses possibles dommages collatéraux . C’est lui, en effet, pour Véronique Felenbok, le principal responsable des chiffres effrayants que reflètent les résultats de son étude. « Il ne faut pas rationaliser quand on est déjà en dessous de la ligne de flottaison. Conséquence : on a de plus en plus de structures qui coprogramment, divisant ainsi par deux le nombre de dates. Et par ailleurs, il y a de plus en plus de coproducteurs pour un même spectacle, si bien que des spectacles vont faire de longues tournées aux dépens d’autres qui ne seront plus programmés ».
« On est habitué à s’adapter, mais là, on ne voit plus comment »
Conséquence probable encore une fois : une concentration de la vie du spectacle vivant autour de compagnies déjà reconnues aux dépens de plus petites structures, plus émergentes. « A l’avenir, il risque d’y avoir une poignée de compagnies super soutenues et super dotées. Ce qui empêchera à la fois la relève et la diversité. Les femmes, les artistes non-blancs, qui sont sous-représentés, sous financés, vont être les premiers à en pâtir», poursuit la co-présidente de LAPAS. Pour Elisabeth Le Coënt cependant, co-directrice d’Altermachine, un bureau d’accompagnement de projets artistiques qui s’occupe de sept compagnies, quasiment toutes conventionnées, le lancement du plan est encore trop récent pour produire de véritables effets. Elle constate pour sa part une baisse significative des dates de diffusion mais aussi des phénomènes inédits. « Un coproducteur qui annonce qu’il reporte la diffusion sur la saison suivante pour des raisons budgétaires, ou même des annulations en cours de saison, ce sont des choses qu’on n’avait jamais vues auparavant. Jusqu’à un dirigeant de structure qui me dit que, dorénavant, les grands formats pour lui c’est fini. Qu’il ne prendra plus de spectacles au-delà d’un coût de cession de 6000 euros ». Autant de signes que ça craque de partout pour des raisons connues que la co-directrice retrace ainsi. « D’abord, il y a eu l’énergie. Ensuite l’inflation qui a conduit à des renégociations salariales. Et à cela s’ajoutent les baisses de subventions des villes confrontées elles-mêmes à une augmentation de leurs coûts. Sans parler des velléités politiques à la Wauquiez… ».
Suite à son étude, l’association LAPAS sera reçue le 16 avril au ministère. Dans un contexte où, pour Elisabeth Le Coënt, l’annonce des coupes budgétaires faites par Bruno Le Maire a achevé le secteur. « La coupe n’est pas encore actée, mais elle génère tellement d’angoisse. Les structures disent : « on est habitué à s’adapter, mais là, on ne voit plus comment »». D’où une frilosité exacerbée, dans l’attente d’une décision définitive. « On est habitué à une marge d’incertitude avec le Projet de Loi de Finances voté fin décembre. Mais là, en avril, comment on fait ? Les saisons se bouclent. Et les compagnies doivent présenter des calendriers de diffusion aux autorités pour recevoir des subventions ». Le serpent se mord donc la queue et réduction budgétaire ou pas, les nuages s’accumulent comme jamais au-dessus du secteur du spectacle vivant. « Il y a des professionnels qui vont dès demain se retrouver sur le carreau, des artistes, des comédiens, des danseurs, des techniciens qui vont devoir cesser leur activité », énoncent clairement Elisabeth Le Coënt et Véronique Felenbok. La crainte d’un véritable plan social énoncée par le Syndeac se fait de plus en plus crédible.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Solidaire et soutien total.
Y aurait il une pétition mise en place ?
Force à vous, ne lachez pas !
Nos yeux brillent et nos cœurs grandissent tellement grâce à vous.
Je vous envoie toute mon énergie !
Merci à tout les intermittents
Les textes proposés sont souvent détournés dans une idéologie politique abordée toujours sous le même angle.
Et les acteurs s’ affichent sans vergogne et en donneurs de leçon dans leur prises de parole publique. Au mépris d’une partie des spectateurs. Je boycotte le théâtre, ainsi que cinéma d’art et d’essai. Je suis frustrée.