A l’heure où le secteur se réjouit (un peu) de l’annonce de la réouverture des théâtres (2 juin zone verte et 22 juin zone orange) tout ne va pas pour autant reprendre son cours normal. Des mesures sanitaires restent de mise et il apparaît que dans certains théâtres de ville, secteur dont on soulignait il y a peu l’importance en termes de diffusion, la rentrée ne se fera pas forcément avant janvier 2021.
Peut-être l’annonce de ce jeudi 28 mai d’Edouard Philippe va-t-elle changer la donne. Mais de nouveaux nuages obscurcissent encore l’horizon des théâtres de ville. Des producteurs avaient tiré le signal d’alarme il y a trois semaines via une lettre ouverte destinée à contrecarrer un mouvement naissant. Plus d’une trentaine de théâtres de ville avaient décidé de fermer leurs portes à la diffusion jusqu’en janvier. Si l’on en croit Thibaud Houdinière, dirigeant d’Atelier Théâtre Actuel, la lettre a produit son effet. « Beaucoup de lieux sont revenus sur leur décision initiale. Certains directeurs se sont même servis de la lettre pour aller voir leurs élus et les dissuader de ne reprendre qu’en janvier ».
Pourtant, tout danger ne semble pas écarté. « Ce qui bloque maintenant, c’est que la circulaire du Ministère recommande une distanciation d’un mètre, ou, à défaut, que les spectateurs portent des masques. Et ce qu’il faudrait, c’est inverser l’ordre de ces recommandations », explique le producteur. En d’autres termes, il préférerait que les salles n’aient à faire de distanciation que si les spectateurs ne portent pas de masque. Ce qui naturellement éviterait de condamner des sièges, et donc de perdre des revenus de billetterie. « Il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas aller s’asseoir normalement côte à côte dans une salle de théâtre avec des masques. On le fait bien dans des avions, dans des cars », ajoute-t-il. L’argument pourrait finir par porter, puisque les recommandations inscrites dans la circulaire ministérielle sont destinées à être remises à jour début septembre. Un tel assouplissement permettrait sans doute de faciliter la rentrée théâtrale.
« C’est là qu’on va voir les projets politiques des collectivités »
Cependant, l’affaire ne serait pas réglée pour autant. L’activité de diffusion des théâtres de ville risque en effet, quoi qu’il advienne, de souffrir au-delà des vacances, tout le long du dernier trimestre 2020. « Nous ne serons pas fermés, mais nous n’aurons pas d’activité de diffusion », a déjà -plus ou moins provisoirement – décidé le théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine. José Jorge, son directeur explique ce choix avant tout par le manque de motivation du public. « Nous avons un public âgé et pour l’instant, ils n’ont pas envie de retourner au théâtre. J’avais par exemple repoussé un spectacle de ce printemps au mois d’octobre, mais 80% des gens ont dit qu’ils préféraient être remboursés ». Les désirs du public évolueront certainement avec la pandémie et José Jorge rappelle que rien n’est définitivement tranché. Mais faute d’évolution des conditions sanitaires, on voit mal ce qui ferait revenir Asnières sur sa décision.
Pour Frédéric Maurin, co-Président du Syndicat National Des Scènes Publiques (SNSP), l’enjeu est simple. « La rentrée de septembre va être un rendez-vous important. C’est là qu’on va voir les projets politiques des collectivités. Ceux qui vont essayer au maximum de garder une offre pour la population. Et ceux qui ne voudront pas faire de sacrifice budgétaire ». A Asnières, Manuel Aeschliman, maire LR a été réélu dès le premier tour. « Il y a des villes qui ont choisi le divertissement, d’autres qui sont plus sur des valeurs républicaines d’émancipation par la culture, et beaucoup aussi qui sont à un point d’équilibre entre les deux », poursuit Frédéric Maurin. « Ce n’est pas possible de programmer aujourd’hui des spectacles à 25000 euros, avec des têtes d’affiche. Un chanteur à succès, c’est pour la saison 21/22 ».
« Des mairies pourraient profiter d’une fermeture à l’automne pour récupérer de l’argent sur les budgets de la culture »
En d’autres mots, les programmations moins grand public – et moins coûteuses – que celles du circuit du grand divertissement pourraient avoir le vent en poupe. Les autres, moins. Co-présidente du SNSP, Cécile Le Vaguerèse-Marie explique ainsi : « l’important, c’est de procéder dans le dialogue avec les compagnies. Certains spectacles ne sont pas faits pour être joués devant une salle à moitié vide, mais les artistes peuvent s’adapter, modifier leur proposition pour ces nouvelles conditions. Je suis sûr qu’il va s’imaginer des choses nouvelles ».
Quelle part des théâtres de ville préférera renoncer à diffuser à l’automne plutôt que de s’engager sur une voie délicate ? Il paraît impossible de le savoir pour l’instant. Thibaud Houdinière parle d’une quarantaine de salles tentées de fermer aujourd’hui. Le SNSP évoque cinq lieux en Région Parisienne. La situation est d’autant plus incertaine que les équipes municipales sont en train de changer. « La charge de travail et d’incertitudes pour les directions est énorme en ce moment. Faut-il éditer une brochure ? Quelle voilure prévoir ? Procède-t-on par remboursements ? » renchérit Frédéric Maurin. « Le temps des municipales – avant et après – est traditionnellement une période de tensions entre les théâtres et les élus. Mais là, on risque en plus de voir se multiplier des révisions de budget affectant les théâtres ».
José Jorge à Asnières reste à ce titre dans l’inconnu. « Je pense qu’on ne va rien m’enlever. Mais c’est sûr qu’on ne va pas me proposer de subvention exceptionnelle pour compenser d’éventuelles pertes de billetterie ». Ce qui explique aussi sa probable décision de suspendre la diffusion. Pour Thibaud Houdinière, le piège est là : « en ce contexte de crise, des mairies pourraient profiter d’une fermeture à l’automne pour récupérer de l’argent sur les budgets de la culture ». Cécile Le Vaguerèse-Marie rapporte ainsi qu’ « il y a une petite musique qui monte pour utiliser des bâtiments publics comme les théâtres à d’autres fins que les leurs. Il faut faire attention. Dans une collectivité locale, c’est facile de fermer un théâtre provisoirement. On peut replacer les salariés ailleurs. Mais vont-ils rouvrir après ? ».
Enquête d’Eric Demey – www.sceneweb.fr
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