Pour Peter Brook, l’œuvre de Shakespeare est une source inépuisable d’expériences, de questions sur l’essence et sur le sens du théâtre. L’espace de trois soirées, il partage avec le public son travail en cours sur La Tempête.
Le rendez-vous donné par Peter Brook aux Bouffes du Nord les 19, 20 et 21 février 2020 était d’autant plus attendu qu’il contenait une part de mystère. Pour la première fois, à 94 ans, le metteur en scène britannique proposait au public d’assister à une recherche en cours, sur La Tempête. Une pièce qu’il a déjà montée en 1990, et jouée aux Bouffes du Nord ainsi que dans l’ancienne carrière de pierre des Taillades près de Cavaillon, dans le cadre du 44ème Festival d’Avignon. Après deux semaines de travail avec les comédiens Hiran Abeysekera, Yohanna Fuchs, Dilum Buddhika, Marcello Magni, Ery Nzaramba et Kakieaswaru Srinivasan, ainsi qu’avec sa collaboratrice Marie-Hélène Estienne, il offre de suivre une partie de son travail « in vivo », puis d’échanger avec les personnes présentes. Un ordre du soir qui s’est trouvé inversé le 19 février, où après une entrée en scène accueillie avec émotion, Peter Brook a formulé devant la salle comble quelques-unes de ses réflexions sur l’auteur qu’il a le plus monté dans sa carrière. Shakespeare.
« Je voulais partager avec vous la question des échos, des vibrations, des résonances à l’œuvre chez Shakespeare dans les mots les plus simples », confie-t-il en français avant d’inviter ses interprètes assis autour de lui à passer à l’anglais. Peter Brook a Shakespeare sur le bout de ses deux langues, ou sur le « Bout des lèvres » (Odile Jacob, 2018), titre de son dernier livre que son traducteur et collaborateur pendant 40 ans Jean-Claude Carrière qualifie de « confidences de nulle part ». Dès la première page de ce texte hybride, entre essai et récit autobiographique, le théoricien de l’« espace vide » expose son rapport à l’auteur élisabéthain. « Les niveaux innombrables de Shakespeare font de son œuvre un gratte-ciel », dit-il. « Shakespeare resonance. Recherche autour de La Tempête », titre donné à la rencontre de février, en est une visite guidée.
Dans un gratte-ciel, on trouve toujours un sous-sol obscur, humide et souvent puant, où est ourdie la pornographie, par exemple. Nous comprenons assez vite, en nous tenant toujours à l’intérieur de cette métaphore, que le mot ‘’qualité’’ n’est pas statique, figé. Il recouvre, en réalité, il suppose une hiérarchie. Étage après étage, nous nous élevons jusqu’à voir le ciel s’ouvrir, et nous sentons alors que Shakespeare, sans le moindre doute, est le plus élevé de tous les gratte-ciel », poursuit plus loin Peter Brook dans son livre. Sur le plateau des Bouffes du Nord, qu’il a réouvert et inauguré en 1976 avec Timon d’Athènes de Shakespeare, l’homme de théâtre poursuit son ascension. Fidèle à ses principes, il abolit les frontières entre acteur et spectateur, en nous proposant ainsi qu’à son équipe de prononcer quelques phrases de Shakespeare. « The rest is silence », « Reason not the need », ou encore « Turn out the light, and then turn out the light »… Sur quoi il s’éclipse, et laisse place au théâtre.
Là encore, Peter Brook bouleverse les attentes. Au lieu des bribes, des tentatives auxquelles nous pensions assister, c’est La Tempête toute entière qui se déploie sur le plateau presque nu des Bouffes du Nord. Mais où une pierre, une maquette de bateau, quelques cannes et des souches de bois sculpté suffisent aux six comédiens à « entrer dans le chemin qui oblige Prospero le magicien à nous demander à nous public de le libérer et cela à travers notre compassion ». On retrouve l’art de l’épure propre à Peter Brook, et sa manière très personnelle de porter sur scène ce qu’il admire chez Shakespeare : son « mouvement sans fin de l’ésotérique au profane, quelque chose qui soudain s’ouvre vers le surnaturel, ou simplement vers l’inhabituel, l’extraordinaire, pour être aussitôt, délibérément, rejeté dans l’humus de la vie ordinaire ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Shakespeare Resonance
Une recherche menée par Peter Brook
en collaboration avec Marie-Hélène Estienne
Avec
Hiran Abeysekera,
Maïa Jemmett,
Marcello Magni,
Ery NzarambaRecherche autour de « La Tempête »
TNP Villeurbanne
17 – 18 septembre 2020
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