Puissant roman de l’échec et de la révolte, le premier livre de Tristan Egolf est ambitieusement adapté au théâtre par Paul Balagué. Le spectacle présenté à la MC93 de Bobigny bénéficie d’un jeu d’acteurs hyper engagé, mais finit quand même par se perdre en route.
Saisir Le Seigneur des porcheries, livre paru en 1998 sous la plume radicale de l’écrivain américain Tristan Egolf, qui mettra fin à ses jours en 2005 à l’âge de 33 ans, c’est faire le portrait d’une figure magnétique et controversée, celle de John Kaltenbrunner, cet homme, que l’on suit de l’enfant solitaire à l’adulte enragé, perçu comme un être à part au point de devenir un paria à abattre ; c’est aussi brosser le panorama de la société étriquée et enlisée dans laquelle il évolue et qui le persécute. Plantée dans le Midwest américain, la petite ville de Baker est un cadre typique de l’exacerbation de la violence, de la bêtise et de la méchanceté gratuitement exercées par toute une communauté. Sans perspectives ou possibilités réelles, John, devenu éboueur, mène une grève qui tourne à l’émeute, obligeant la ville et ses habitants à se vautrer dans le chaos de leur propre saleté.
À la tête de sa compagnie En Eaux Troubles, Paul Balagué tient entre ses mains une matière qui réclame nécessairement un long déploiement. Un spectacle d’une durée de cinq heures se livre sur le grand plateau nu de la MC93, recouvert du plastique noir de sacs poubelles qui place aussitôt l’espace au coeur de l’ordure. La grande fresque sociale et humaine qui se joue est empreinte d’autant de vitalité que de pessimisme sur l’état du monde. Et sa transcription scénique a le mérite de trancher net, dans le vif de son sujet. Le roman porte en lui une violence extrême (racisme, sexisme, homophobie…), mais aussi une certaine drôlerie mise au service de la lutte contre tous les maux et les oppressions. Si le travail proposé ne suit pas le livre à la lettre, il rend compte de son esprit, et notamment du contraste insolent que forme cette pluralité des tons. Sa théâtralité protéiforme et proliférante n’est pas sans rappeler l’écriture scénique d’un Julien Gosselin, avec ses multiples et efficaces effets sonores et lumineux, sa musique live omniprésente, ses prises de parole logorrhéiques traversées d’élans poétiques comme d’une certaine crudité, et surtout la présence physique, concrète, organique, des acteurs, qui vont quasiment tous prendre en charge un moment du parcours du protagoniste tout en endossant les autres personnages.
La représentation se découpe en deux parties particulièrement denses. La première est fort convaincante. Elle pose rigoureusement, âprement, les enjeux d’une situation à travers laquelle le jeune John, qui récupère et entretient avec succès une ferme en ruines, tente à force de travail une émancipation finalement brisée. Le second mouvement, à l’image de ce personnage en déroute, tend, de façon dommageable, à s’enliser. Trop d’outrances et de complaisances, de commentaires et de dérision, font, à force, se déliter le propos. Confuse, la mise en scène, comme le discours qu’elle porte, devient à la fois trop pléthorique et anecdotique. C’est un peu regrettable, car la matière romanesque de départ, son ancrage dans la réalité profonde et complexe, son invention et sa subversion avaient de quoi captiver jusqu’au bout.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le Seigneur des porcheries
Une création commune de la Compagnie En Eaux Troubles
D’après Le Seigneur des porcheries de Tristan Egolf, dans la traduction en langue française établie par Rémy Lambrechts (Éditions Gallimard)
Adaptation et mise en scène Paul Balagué
Créée et interprétée par François Chary, Lucas Goetghebeur, Ghislain Decléty, Martin van Eeckhoudt, June van der Esch, Sandra Provasi, Damien Sobieraff, Grégoire Léauté (musique)
Lumière Lila Meynard, avec l’aide de Rachel Aroutcheff
Musique Christophe Belletante, Sylvain Jacques, Grégoire Léauté
Costumes Marie Vernhes, avec l’aide de Pauline Juille, Marie Delaroque
Régie générale et son Théo Errichiello
Scénographie, régie plateau et construction Mathieu Rouchon, Antoine Formica, Klore Desbenoit
Collaboration à l’écriture et à la mise en scène Paul-Éloi Forget
Assistanat à la mise en scène Pauline Legoëdec, avec l’aide d’Antoine DemièreProduction Cie en Eaux Troubles ; MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
Avec le soutien du Théâtre L’Échangeur – Bagnolet, du Grand Parquet – Paris, de la SACD, du Théâtre du Fil de l’eau – Pantin et du Théâtre de l’Arsenal – Val-de-Reuil, de la DRAC Ile-de-FranceLa Compagnie En Eaux Troubles fait partie du réseau Actée.
Paul Balagué est membre de LA KABANE – Maison d’artistes.Durée : 5h (entracte compris)
MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
du 8 au 18 mai 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !