Dans Le Pire nâest pas (toujours) certain, créé aux ZĂ©brures dâautomne â nouvel intitulĂ© du festival Les Francophonies en Limousin â Catherine Boskowitz aborde le drame des migrants Ă partir de lâessai FrĂšres migrants de Patrick Chamoiseau. Un plaidoyer pour « des solidaritĂ©s imprĂ©visibles et transversales », dont elle Ă©choue Ă traduire la force.
DerriĂšre un Ă©cran de plastique qui donne au plateau une allure trouble, ça sâagite. Ăa colle, ça bricole. Tandis que le public prend place, les six interprĂštes du Pire nâest pas (toujours) certain composent en quelques minutes un plateau en Ă©tat dâurgence. ĂquipĂ©s de rouleaux dâadhĂ©sif blanc, ils dessinent au sol des motifs dâaprĂšs catastrophe. Avec presque rien, ils fabriquent un petit chaos qui, apprend-t-on sur la feuille de salle, se situe dans un futur proche. Ă une Ă©poque oĂč « les migrations vers lâEurope se densifient ». Un demain trĂšs proche, donc, oĂč les frontiĂšres sont partout oĂč il y a des hommes. De Thessalonique Ă Bobigny, territoire parcouru par les personnages de la piĂšce Ă©crite par Catherine Boskowitz en rĂ©sidence Ă la MC93 Ă la maniĂšre dâun puzzle sur « ce qui nous arrive aujourdâhui », explique lâauteure, metteure en scĂšne et comĂ©dienne dans son journal de rĂ©pĂ©titions. Un bel outil mis en place par le théùtre qui lâa accueillie afin dâoffrir une entrĂ©e dans les coulisses de la crĂ©ation. Dans la pensĂ©e, dans les questions qui lâont motivĂ©e et traversĂ©e.
Dans le mĂȘme journal, on apprend ainsi lâorigine de lâaffolement initial et des fragments qui suivent, oĂč divers protagonistes Ă©mergent de la confusion avec leurs histoires dâexil, de dĂ©chirement. « Au fil des mois passĂ©s Ă Bobigny, dit Catherine Boskowitz, jâai Ă©crit en compagnie des hommes et des femmes que jâai rencontrĂ©s ici⊠des groupes avec lesquels jâai travaillĂ©, le groupe du foyer Oryema, le groupe de Sokay Ă travers son association ââLoisirs Tout Azimutsââ, le groupe des comĂ©diens amateurs, lâĂ©quipe de la MC93, mon Ă©quipe artistique⊠». Un procĂ©dĂ© qui nâest Ă aucun moment visible dans Le pire nâest pas (toujours) certain, ni mĂȘme suggĂ©rĂ©. Si de nombreuses rencontres et entretiens ont nourri la piĂšce, les diffĂ©rentes petites fictions qui la constituent nâen gardent presque aucune trace. Si ce nâest lorsquâEstelle Lesage, attifĂ©e en clown, conseille Ă Catherine Bokowitz qui incarne alors une Europe conservatrice et autosatisfaite de sortir un peu de chez elle. De se bouger, de recueillir les rĂ©cits des autres, des migrants.
Davantage affirmĂ©, le processus dâĂ©criture aurait sans doute permis Ă la fiction de gagner en prĂ©cision dans les mĂ©canismes quâelle dĂ©crit. Dans les portraits de rĂ©fugiĂ©s et dâEuropĂ©ens quâelle fait se cĂŽtoyer, sâaffronter, de maniĂšres diverses. En faisant appel Ă de nombreuses formes et disciplines â danse et chant sâinvitent souvent dans la partition théùtrale â, qui accentuent le caractĂšre trĂšs polyphonique du texte, Catherine Boskowitz en complique la lisibilitĂ©. Au point de rendre quasi-imperceptible le rĂ©cit sensĂ© servir de cadre Ă lâensemble : celui qui raconte le voyage dâun chien depuis la GrĂšce jusquâen Seine-Saint-Denis. Parcours ponctuĂ© de rencontres surrĂ©alistes mais qui Ă©chappent rarement aux clichĂ©s et au didactisme.
Au fil des deux heures et quart de spectacle, on dĂ©couvre un Homme accrochĂ© Ă un mĂąt (FrĂ©dĂ©ric FachĂ©na, qui endosse aussi le rĂŽle dâun fonctionnaire europĂ©en), une rĂ©fugiĂ©e du nom de Jumana (NantĂ©nĂ© TraorĂ©), un jeune exilĂ© fraĂźchement arrivĂ© en Europe (Andreya Ouamba), un NĂšgre de Feu (Marcel Mankita), ou encore un certain WaĂ«l dont on parle beaucoup mais que lâon ne voit jamais. Toute une galerie de pauvres hĂšres et de privilĂ©giĂ©s plus ou moins Ă lâaise avec leur condition, que rien ne rassemble sinon le chaos mouvant de la scĂšne. Surtout pas la langue, qui nâa que peu de choses en commun avec celle de FrĂšres migrants (Ă©ditions du Seuil, 2017) de Patrick Chamoiseau, dont Catherine Boskowitz dit sâĂȘtre librement inspirĂ©e. Dans Le pire nâest pas (toujours) certain, les « solidaritĂ©s multidimensionnelles, Ă©volutives » que lâauteur de lâessai appelle de ses vĆux sont le plus souvent rĂ©duites Ă des rapports de force qui peinent Ă exprimer autre chose quâun problĂšme de conscience. Un malaise europĂ©en quâil est de bon ton dâexprimer ces temps-ci au théùtre. Au risque dây rajouter de la confusion.
AnaĂŻs Heluin – www.sceneweb.fr
Le Pire nâest pas (toujours) certain
Texte et mise en scĂšne : Catherine Boskowitz
Assistante Ă la mise en scĂšne : Laura Baquela
Avec : Catherine Boskowitz, Frédéric Fachéna, Estelle Lesage, Marcel Mankita, Nanténé Traoré
Danseur : Andreya Ouamba
Musique : Jean-Marc Foussat
Création lumiÚre : Laurent Vergnaud
Scénographe : Jean-Christophe Lanquetin
Costumes : Zouzou Leyens
Régie plateau : Paulin Ouedraogo
Assistants scénographie : Anton Grandcoin, Jacques Caudrelier
Stagiaires technique plateau : Kosta Tashkov, Khalid Adam et Aboubakar Elnour
Avec lâaccompagnement amical de Anne-Laure Amilhat Szary, gĂ©ographe, professeure Ă lâUniversitĂ© Grenoble-Alpes et Ă Pacte, Laboratoire de Sciences Sociales.
Remerciements pour leur aide et leurs conseils artistiques Ă Maria Zachenska (clown), Ă Myriam Krivine (chanteuse lyrique) et Ă Matisse Wessels (marionnettiste).
LâĂ©criture de cette piĂšce a Ă©tĂ© librement inspirĂ©e par lâessai de Patrick Chamoiseau « FrĂšres Migrants » (Ă©ditions du Seuil).
Les Ă©crits dâHannah Arendt, notamment sur ce que pour elle signifie « penser », mâont accompagnĂ©e pendant toute lâĂ©laboration du spectacle.
Le théùtre dâArmand Gatti (« Les 7 possibilitĂ©s du train 713 en partance dâAuschwitz »/ Ă©ditions Verdier), de Paul Claudel (« Le soulier de Satin » / Ă©ditions Gallimard), et une nouvelle dâAntonio Tabucchi (« PassĂ© composĂ© » / Ă©ditions Gallimard), dont certains passages sont citĂ©s Ă lâintĂ©rieur de la piĂšce, mâont permis de rĂȘver avec leurs auteurs.
Les demandeurs dâasile du Foyer Oryema Ă Bobigny ainsi que les rĂ©fugiĂ©s rencontrĂ©s en GrĂšce et Ă travers toute lâEurope, certains devenus mes amis, mâont aidĂ©e Ă imaginer cette histoire qui leur est dĂ©diĂ©e.DurĂ©e : 2h15
Les ZĂ©brures dâautomne Ă Limoges
Les 26, 27 et 29 septembre 2019MC93
Du 11 au 21 décembre 2019
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