Collectif d’artistes travaillant les écritures contemporaines, ildi ! eldi transpose des nouvelles de l’auteur Antoine Wauters. Un spectacle prometteur dont la force s’affirme au cœur de la verdure.
On dira ce que l’on veut, mais cet intitulé Le musée des contradictions porte déjà en lui quelque chose de prometteur. Imaginez : un musée qui n’exposerait pas tant des objets que des situations, des idées ou des positions dépliant des paradoxes. Si ce concept de musée sans œuvre peut renvoyer, à sa façon, au « post-musée » proposé par Françoise Vergès – dans Programme de désordre absolu. Décoloniser le musée, la théoricienne féministe décoloniale et antiraciste évoque la possibilité d’un « espace où on enseignerait comment se sont élaborées les résistances aux intersections entre capitalisme, classe, idéologie raciale et politique du genre, un tel espace serait une école de la liberté, une pédagogie des opprimé.es antiraciste, anticapitaliste et anti-impérialiste, une école réellement abolitionniste » –, ce titre est, surtout, celui du recueil de nouvelles de l’auteur belge Antoine Wauters, Goncourt de la nouvelle en 2022. Se saisissant de certains de ses brefs récits narrant des retours vers la nature, le collectif ildi ! eldi imagine un spectacle plein de promesses – dont certaines, dans le cadre particulier du Festival Off d’Avignon, sont demeurées en suspens.
Mais reprenons. Cheminant jusque sous des arbres où jouent trois musiciens, le public assiste pour débuter à un petit concert. Cet accueil se signale déjà comme un sas, un parcours vers un autre espace où les personnages surgiront d’entre les arbres et arbustes pour livrer leur parole, avant d’y retourner par la suite. Et comme l’explicite l’un des instrumentistes-comédiens, nous allons découvrir quatre « tableaux » vivants : Discours d’une troupe en pyjama, Discours d’au-delà du mur, Discours de la mer interdite et Discours des questions. Ces paroles, qui sont pour les trois premières portées par un seul personnage isolé, témoignent d’autant de façons de prendre la clef des champs de notre société néolibérale. Elles se déroulent sur une scène ouvrant sur la nature et où le plateau, ceint de quatre arbres, est habité par les bruits environnants.
Au gré de ces témoignages – celui d’un homme qui raconte sa fuite en troupe de l’Ehpad ; celui d’une femme vivant en communauté avec d’autres femmes et leurs enfants ; celui d’un homme membre d’un collectif rejetant tout du monde excepté la question du climat et de la mer – se dessinent autant de façon de déserter. Adressés face au public dans un dispositif scénographique économe, où seul se trouve un rectangle de métal lumineux – métaphore du cadre du tableau qui changera de place et d’intensité lumineuse au gré des discours –, ces diatribes sont accompagnées par un environnement sonore soigné. Les sons de la nature comme la musique viennent modestement et efficacement amplifier ces démontages de la société de consommation, de la relégation des personnes âgées, ou considérées comme marginales, du travail ou encore de la violence sociale et politique.
Et puis, il y a les contradictions internes à chaque discours et position. Antoine Wauters dessine ce qui pourrait juste relever de stéréotypes ou de caricatures grinçantes, avec ce que ces figures emportent de paradoxes : le jeune teufeur percé et tatoué qui rejette le monde, mais est prêt à user de la violence ; la femme dont la communauté sororale zéro déchet tendance Pachamama continue, pourtant, d’avoir recours à certains médicaments ou à l’essence ; les personnes âgées qui, après avoir fui en collectif, se séparent, comme si chacune et chacun n’avaient fait tout cela que pour disparaître selon son propre chemin… Cela pourrait relever du cynisme, de la disqualification par un regard goguenard de toute position critique à l’égard du système. Sauf que la mise en scène prolonge la position d’équilibriste du texte, entre confession sincère et écriture sans position de surplomb. Et le jeu fondé sur une adresse directe, sans fard, admet les paradoxes et les fragilités intimes à l’œuvre chez les personnages, sans éluder le contexte social et politique les générant.
Pour autant, pour cette représentation dans le charmant Jardin de l’ancien Carmel, Le musée des contradictions semblait comme en-deçà de son potentiel. Les trois premiers discours apparaissaient un peu débranchés, traversés d’une forme de dissonance entre propos et forme. Ce ne fut pas le cas du quatrième. Proposé dans une clairière, réunissant tous les interprètes entourés d’un cercle de lumière, rejoint bientôt par des lucioles, le Discours des questions, en interpellant sur la responsabilité politique, clôt le spectacle sur un moment sensible, une invitation à une mise en mouvement aussi collective que poétique. L’on en vient à se dire que Le musée des contradictions étant de prime abord pensé et conçu par ildi ! eldi comme une forme itinérante destinée à jouer dans la nature, la transposition dans un rapport scène-salle traditionnel entrave, peut-être, la force du propos.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Le musée des contradictions
Texte original Antoine Wauters
Conception et mise en scène Sophie Cattani, Antoine Oppenheim
Avec Sophie Cattani, Léopold Pélagie, Rémi Rauzier, Damien Ravnich (musique)
Composition musicale Pierre Aviat, Damien Ravnich
Scénographie Patrick Laffont de Lojo
Son Guillaume BossonDurée : 1h30Festival Avignon Off 2024
Théâtre du Train Bleu, Jardin de l’ancien Carmel
du 3 au 11 juillet (relâche le 8), à 20h40Théâtre des Halles, Avignon
le 19 décembre
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