« La Japon est en danger ! » clame un personnage du spectacle. C’est sûr l’image du Japon dégagée par « Le grenier » n’a rien à voir avec les geishas, les cerisiers en fleurs, ou les sashimis ! C’est le côté obscur de la société japonaise qui transparait dans le texte d’Yöji Sakate. Il raconte l’histoire d’un homme (interprété par Frédéric Cherboeuf) dont le jeune frère, reclus dans ce fameux « grenier », s’est suicidé. Il part donc à la recherche du fabriquant de ces greniers en kit. Une fable contemporaine qui met en exergue le malaise de beaucoup d’adolescents ou de jeunes adultes japonais. On les appelle les « hikikomori ». Ce sont des jeunes qui vivent isolés, cloitrés chez leurs parents, accablés par la société japonaise. Il y aurait près de 3 millions de « hikikomori » selon une étude du gouvernement japonais. Il s’agit d’une vraie tragédie pour le pays, car les parents sont souvent démunis, d’autant que beaucoup d’enfants adoptent une attitude violente. Plusieurs faits divers ont traumatisé le Japon ces dernières années (en 2000 un « hikikomori » de 17 ans a pris le contrôle d’un autobus et a tué une passagère, un autre a tué quatre fillettes afin de reproduire une scène d’un manga). Il n’existe pas de centres spécialisés pour les soigner, la société japonaise préférant que l’enfant réintègre de lui-même la société.
Jacques Osinski, le directeur du CDN des Alpes a donc tout naturellement choisi de faire jouer ses comédiens dans cet espace confiné, un élégant grenier tout en bois dans lequel il est impossible de tenir debout. La pièce est constituée d’une succession de scènes qui donnent un portrait assez sombre de la société japonaise. On y croise une mère abusive, des adolescents accrochés à leur ordinateur, des pervers sexuels (la majorité sexuelle est fixée à 13 ans au Japon !)…avec en fil rouge le parcours du frère ainé à la recherche de « l’assassin » de son frère. L’ensemble est accompagné par le musicien Dayan Korolic qui ponctue les scènes avec la musicalité du Japon (murmures, bruits urbains…). On aimerait d’ailleurs qu’il soit plus utilisé dans le spectacle, pour donner un peu de rythme, surtout lorsque l’on connaît la qualité de ses musiques (il compose toutes les musiques des spectacles de Sylvain Maurice du Nouveau Théâtre de Besançon).
Un spectacle sérieux, bien maitrisé et soigné, d’une incroyable exigence, mais dont certaines longueurs pèsent sur l’ensemble. Avec cependant des scènes cocasses à l’humour noir proches de l’univers de Takeshi Kitano (cité d’ailleurs dans le spectacle), comme celle des deux inspecteurs de police (Rémy Roubakha et Stanislas Sauphanor) en planque dans le grenier qui surveillent des Yakhusas.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
LE GRENIER
comédie dramatique de Yôji Sakate
titre original Yane-ura
traduit du japonais par Corinne Atlan
mise en scène de Jacques Osinski
lumière, Catherine Verheyde
scénographie, Lionel Acat
costumes, Christophe Ouvrard
musique, Dayan Korolic
collaborateur artistique, Alexandre Plank
avec
Vincent Berger, Elisabeth Catroux, Frédéric Cherboeuf, Agathe Le Bourdonnec, Alice Le Strat, Pierre Moure, Remy Roubakha, Stanislas Sauphanor Dayan Korolic
production, Centre Dramatique National des Alpes – Grenoble
coréalisation, Théâtre du Rond Point, Paris et MC2: Grenoble
Ce texte a reçu l’aide à la création du Centre National du Théâtre avec le soutien du Jeune Théâtre National
Pièce traduite à l’initiative et avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, Centre International de la traduction théâtrale, Montpellier.
La première lecture de cette pièce en français a eu lieu à Grenoble le 29 mai 2008 lors du festival Regards Croisés, à l’initiative du comité de lecture de théâtre contemporain Troisième Bureau.Création du Centre Dramatique National des Alpes
du 2 au 13 février 2010 à la MC2: Grenoble
du 9 mars au 3 avril 2010 au Théâtre du Rond-Point, Paris
malgré les quelques longueurs énoncées, l’ensembles des saynettes se répondent par plusieurs fils ténus, pas facile à trouver, mais qui font se sous jacent terrible et secret qui tient la société japonaise. Le dispositif scénique en perspective accentuée fait aussi penser à une cour intérieure entre des bâtiments vus de haut (bien qu’il n’y a pas véritablement de cour dans l’urbanisme japonais) : en ce sens on voit ce qui se passe entre les habitations toujours très sérrées dans une société japonnaise où l’essentiel est caché.