Le chorégraphe tchécoslovaque Jiří Kylian est entré sous la coupole de l’Académie des beaux-arts, dont la section danse a été nouvellement créée (elle comptera quatre membres). Il a été élu au fauteuil du peintre Leonardo Cremonini. Il a été officiellement installé à l’Académie des beaux-arts par son confrère Hugues R. Gall, membre de la section des membres libres. S.A.R. La Princesse de Hanovre lui a remis son épée d’académicien. Il explique ici comment il l’a fait concevoir.
Avec mon installation en tant que nouveau membre, l’Académie des beaux-arts affirme l’importance de sa toute nouvelle section, celle de la Chorégraphie créée le 9 octobre 2018. J’en suis extrêmement fier car la danse a été une forme d’art très longtemps méconnue. L’Epée, attribut du nouvel académicien avec son costume est une arme destinée à frapper seulement pour la défense des arts et de la culture. Elle représente également l’univers symbolique de chaque artiste reçu à l’Académie. La question qui se posa à moi fut donc : comment concevoir une épée symbolisant l’art de la danse et de la chorégraphie ?
Ce ne fut pas une tâche facile. Après avoir passé en revue de nombreuses possibilités, je suis tombé sur l’image d’une magnifique figurine de danseuse. Cette toute petite sculpture, qui pourrait passer pour une création de Matisse ou Picasso, est en fait une œuvre d’art créée il y a 5 500 ans en Égypte. Elle avait été découverte par Henri de Morgan, en 1907, dans le Tombeau 2 du site d’El Mohamerieh en Haute-Egypte. Il s’agit d’une statuette datant de la période prédynastique, donc bien antérieure à l’époque des pyramides et des hiéroglyphes. Autant dire qu’on ne sait rien de ses origines ni de sa signification. La seule chose qui saute aux yeux, c’est que la statuette représente une danseuse. Elle est également connue sous le nom de la « Dame Oiseau » à cause de la forme de la tête qui ressemble à un bec d’oiseau, et de ses bras qui font penser à des ailes. La signification et l’importance de cette cérémonie est d’élever la chorégraphie au rang des beaux-arts. C’est pourquoi j’ai décidé que cette « Dame oiseau » devait être placée sur des ailes lui permettant de prendre son envol vers de nouvelles aventures.
Ceci m’amène à évoquer une anecdote tragicomique liée à la genèse de mon épée : j’avais, entre-temps, pris contact avec un collectionneur d’animaux empaillés pour lui demander s’il disposait de petites ailes d’oiseau que je pouvais scanner pour les faire reproduire en métal. Alors qu’il était en train de m’expliquer qu’à son regret, il n’avait rien qui pouvait m’être utile, un oiseau tomba mort du ciel, droit devant mes pieds…! Je le pris dans mes mains – c’était un pinson – et l’emmena au collectionneur qui me prépara ses ailes avec application de manière à pouvoir les « immortaliser » sur mon épée.
Un autre défi qui se présenta fut le travail de scannérisation pour obtenir une exacte représentation en trois dimensions de la statuette égyptienne. J’avais découvert qu’elle « résidait » au Brooklyn Museum à New York, et je fis appel à Jason Akira Somma, un danseur-chorégraphe et aussi un photographe très doué dont j’avais été le mentor dans le cadre du Rolex Mentorship en 2011-2012, pour lui demander de m’aider à scanner l’objet. Par une étrange coïncidence, l’espace dans lequel la « Dame Oiseau » avait émerveillé des milliers de visiteurs pendant de nombreuses années devait être rénové, et la « Dame Oiseau » serait donc soustraite au regard du public pendant quelque temps. Jason sauta sur l’occasion et obtint l’autorisation de la scanner en « chambre séparée ». Ayant ainsi obtenu les deux composantes majeures de la poignée, il me fallut trouver un forgeron pour forger l’épée et assembler les éléments. Deux amis, le dessinateur graphique René de Haan et le peintre Ilya Walraven, m’aidèrent à trouver le meilleur forgeron des Pays-Bas. Ce fut Dave Wijngaarden, établi à Alkmaar, qui accomplit le travail artisanal de la manufacture de l’épée. Tout ce travail de recherche et de création n’aurait pas été possible sans le précieux concours de Carmen Thomas, la directrice dynamique et dévouée de Kylián Productions.
Jiří Kylián
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