Les directrices et directeurs des Centres Dramatiques Nationaux vont tenir à la fin de la semaine leur traditionnelle assemblée générale en marge du 73e Festival d’Avignon. Il y sera question de l’épineuse succession d’Irina Brook au CDN de Nice, dont nous remarlerons, mais aussi de la situation au Théâtre des Quartiers d’Ivry dirigé depuis le 1er janvier 2019 par Jean-Pierre Baro. Le bureau de l’ACDN (Robin Renucci, Carole Thibaut et Joris Mathieu) publie un communiqué pour préciser sa position sur ce dossier.
Depuis quelques mois le directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry Centre dramatique national est au cœur d’une grave polémique, suite à une plainte pour viol déposée contre lui en septembre 2018 (classée sans suite au mois de Janvier dernier) puis à des articles rapportant les propos de deux autres jeunes femmes dénonçant des agissements répréhensibles. Les salarié.e.s du Centre dramatique national ont fait part dans un communiqué de presse de leur malaise face à cette situation. Des artistes ont renoncé à leur programmation dans le lieu.
Si l’aspect juridique relève du droit privé dans cette affaire, la situation fait malgré tout émerger une question qui se pose à nous collectivement. Elle vient briser le silence pesant de notre profession sur une problématique bien réelle que nous devons cesser de fuir et de négliger.
Il ne nous appartient pas de juger de la culpabilité d’un homme mais les souffrances, les violences, à minima ressenties, que font entendre les récits des jeunes femmes qui ont pris la parole, doivent être entendues et prises en considération. Elles vivent en France, elles travaillent dans notre milieu et se sont retrouvées en situation de se sentir agressées. Suffisamment, quoiqu’il en soit, pour en parler.
Il serait lâche de notre part de rester silencieux et de considérer que nos métiers sont exempts de ce qui frappe une société tout entière. Nous devons en toutes circonstances entendre la souffrance derrière les mots, que les faits aient été juridiquement suffisamment caractérisés ou non.
Au-delà de la question particulière du directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, notre profession doit faire son examen critique, sur ses pratiques, sur les rapports de pouvoir, sur les violences qui s’y exercent, sur les agressions qui ont lieu, sur ce qui peut être ressenti comme tel, là où dire non semble trop difficile, où dire non est devenu indicible ou inaudible, que ce soient des femmes ou des hommes qui le vivent.
Une telle situation conduit aujourd’hui l’ensemble d’une profession à donner à tort et à travers son avis, sa conviction intime. Qui a raison ou qui a tort ? Qui dit la vérité et qui ment ? Cette conduite est indigne vis à vis des personnes impliquées dans cette affaire. Indigne vis à vis du personnel du Théâtre des Quartiers d’Ivry qui exprime sa souffrance, et indigne face à la gravité du sujet. Cela doit cesser.
Nous demandons tout d’abord à l’État et aux collectivités territoriales, face à cette situation particulière, qu’ils fassent entendre leurs positions sur la poursuite du projet au Théâtre des Quartiers d’Ivry et sur les conditions de la conduite de ce projet. Que l’État énonce clairement, ce qu’il mettra en place dorénavant comme protocole d’accompagnement, comme jurisprudence, pour gérer ces situations lorsqu’elles apparaîtront, afin qu’elles puissent être traités en toute sérénité en respectant à la fois la présomption d’innocence, la parole des victimes présumées, et dans la protection de toutes les parties concernées (personnels des structures et artistes programmés).
Suite aux échanges déjà entamés avec le ministère à ce sujet, nous souhaitons que nos instances professionnelles, que les entreprises de notre secteur, conduisent aux côtés de l’État, une étude approfondie sur les situations de violences ou d’abus de pouvoirs implicites, qui auraient pu s’installer dans nos métiers. Nous encourageons les démarches déjà engagées par nos syndicats d’employeurs et de salarié.e.s, afin que soient mis en place de manière efficiente, rapide et transparente, des cellules d’écoutes indépendantes à même de faciliter la prise de paroles de celles et ceux qui trop souvent n’osent pas s’exprimer par crainte de mettre en péril leurs carrières.
Robin Renucci, Carole Thibaut et Joris Mathieu
Bureau de l’ACDN
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