Au Théâtre de la Cité internationale et dans le cadre de Transforme, festival initié par la Fondation d’entreprise Hermès, Le Bruit des pierres du collectif Maison Courbe déplie un fascinant ballet avec des rochers.
Peut-être oublie-t-on parfois la particularité du cirque, sa capacité à susciter des émotions par le déploiement d’une virtuosité physique, voire par une mise en danger. C’est, sans coups d’éclat, mais, au contraire, dans une forme ciselée, avec une infinie douceur et délicatesse, ce que vient rappeler et susciter Le Bruit des pierres. Dans ce spectacle entre cirque et arts visuels imaginé par la danseuse et circassienne Nina Harper, l’artiste plasticienne Domitille Martin et le metteur en scène Ricardo Cabral – et interprété par les deux premières –, les pierres sont au cœur du propos. Ce sont elles que le duo continue d’installer sur la scène avant que le spectacle ne débute, amenant gros cailloux ou sac de gravier ; et ce sont elles, dans toute leur diversité – des cailloux du Petit Poucet au tas de sable, du gros galet plat à la pierre massive –, qui, en jonchant le plateau ou suspendues à diverses hauteurs grâce à des filins – sorte de mobile géant évoquant les compositions d’Alexander Calder –, architecturent la scène comme l’espace.
Hormis l’évocation introductive en voix off d’une sorte de récit des origines, genèse inspirée de La Chute du ciel, livre du chaman et leader des Indiens Yanomami du Brésil Davi Kopenawa et de Bruce Albert, l’ensemble du spectacle demeurera sans paroles. Et c’est un patient, minutieux, contemplatif et, par moments, hypnotique ballet auquel on assiste. Baigné dans une lumière également très chaleureuse et douce, qui vient dessiner les différents espaces et guider à chaque fois nos regards, le plateau se fait le lieu d’un singulier arpentage. Chacune des deux artistes suit son propre cheminement. Manipulant certaines pierres ou déplaçant le tas de sable pour l’une, faisant danser une feuille d’or avant d’en recouvrir des pierres, puis son propre visage pour l’autre, le duo semble comme progressivement apprivoiser un univers. Si les itinéraires sont différents, il y a bien interdépendance, interrelation, et plusieurs séquences induiront le rôle de l’une dans l’action de l’autre.
Tandis que Domitille Martin reste à terre, Nina Harper va, elle, s’élever pour aller côtoyer les pierres dans l’espace. Travaillant la suspension, la circassienne se déplace délicatement, épousant la forme d’une roche, dansant sur elle, puis s’installant sur la structure métallique du mobile. Ce qui saisit est, outre le danger de sa situation, le fait que celui-ci n’est jamais surligné, spectacularisé. La précarité de sa position et de ses mouvements n’est jamais donnée comme telle, et la circassienne se déploie avec agilité à un rythme lent et persévérant. La question du rythme est d’ailleurs centrale dans ce spectacle : dans ce monde à mille lieues du nôtre, où les motivations des deux interprètes nous échappent sans cesse (au-delà du désir de la relation), le temps lui-même semble suspendu, les gestes étant mesurés, déroulés avec précision.
Soutenu par une partition musicale et un travail sonore qui vient amplifier les sons des multiples roches, leur donner de la voix et porter leur écho, Le Bruit des pierres se donne comme un spectacle singulier. Une création qui renvoie, par le dialogue établi avec toutes ces roches, témoins muets du passage des âges, aux réflexions de l’écrivain, traducteur, sociologue et critique littéraire Roger Caillois qui, dans Le Champ des signes, écrivait : « Les pierres qui sont un monde à elles seules ; peut-être qui sont le monde, dont tout le reste, l’homme le premier, sommes excroissances sans durée ». Et qui, en travaillant le lien à ces éléments fondamentalement indifférents aux modifications de leur environnement – comme aux changements – nous invite avec poésie à porter une attention renouvelée à ce qui nous entoure.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Le Bruit des pierres
Conception, écriture, mise en scène Domitille Martin, Nina Harper, Ricardo Cabral
Avec Nina Harper, Domitille Martin
Texte librement adapté de La Chute du ciel de Davi Kopenawa et Bruce Albert
Régie générale et plateau Julien Dégremont
Création lumière Marie Sol Kim
Composition musique Nova Materia (Eduardo Henriquez, Caroline Chaspoul)
Musique additionnelle Jean Berton
Ingénieur du son Timothée Langlois
Regards extérieurs Gaël Santisteva, Léo Manipoud, Sandra Ancelot
Réalisation des costumes Atelier costumes du TMG – Théâtre municipal de Grenoble
Construction des agrès Atelier décors du TMG – Théâtre municipal de Grenoble
Ingénieur structure Laurent GauthierProduction Collectif Maison Courbe, avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès
Coproduction Théâtre municipal de Grenoble, les SUBS – Lyon, Le Vellein – Scènes de la CAPI – Isère, Théâtre de Rungis, circusnext
Avec le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, de la Ville de Grenoble et du département de l’Isère
Résidences de création L’Espace Périphérique – Ville de Paris et Parc de la Villette, Circuswerkplaats Dommelhof (Belgique), Houdremont – Centre culturel – La Courneuve, le Théâtre les Aires – Die, Le Prunier sauvage – Grenoble, TIDA – Italie, La Cascade – PNC – Bourg-Saint-Andéol, La Brèche – Cherbourg – PNC NormandieLe Bruit des pierres est lauréat circusnext 2024, label européen de cirque, et lauréat du programme de résidence Cruzamentos – Croisements, une initiative de Chaillot – Théâtre national de la Danse (Paris), de la MC2: Grenoble – Maison de la Culture et des Alliances Françaises du Brésil en partenariat avec la Fundição Nacional das Artes / FUNARTE dans le cadre de « La fabrique des Résidences » de l’Institut Français.
Durée : 1h
Vu en octobre 2025 au Théâtre de la Cité Internationale, Paris
Teatro de Santa Isabel, Recife (Brésil)
les 8 et 9 novembreThéâtre de Rungis
le 17 février 2026Centre Culturel Jean-Houdremont, La Courneuve
le 20 févrierQuai des Arts, Argentan
le 11 marsLes SUBS, Lyon
les 19 et 20 marsEspace Paul Jargot, Crolles
le 27 marsThéâtre de Mende
les 31 mars et 1er avrilThéâtre de Colmar
le 6 mai



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