Reçu sous les bravos et les sifflets, l’Egmont de Goethe mis en musique par Beethoven, largement revisité par Laurence Equilbey à la baguette et Séverine Chavrier à la mise en scène, résonne fortement avec le monde actuel en faisant le portrait d’une génération européenne éperdue qui chante la nécessité de lutter pour résister.
Représentée par des interprètes convaincus et engagés venus d’Allemagne, cette jeunesse marginalisée se présente simplement en tee shirt ou sweat à capuche. Partagée entre l’inaction et l’activisme, elle a peut-être renoncé à la politique qui a tant promis et tant déçu mais veut continuer à croire en une possible révolution pour vivre dans un monde meilleur. C’est dans ce sens que les artistes réunis s’emparent d’Egmont, une pièce inspirée de l’authentique affrontement entre les Flandres et son envahisseur espagnol au XVIe siècle. De l’œuvre méconnue, seule la flamboyante ouverture orchestrale – véritable poème symphonique « miniature » à l’instar des ouvertures Léonore et Coriolan de Beethoven – demeure une célèbre page souvent insérée au programme des concerts. Ces thèmes majeurs, romantiques en diable et profondément beethovéniens, questionnent la démocratie, approuvent la rébellion contre l’autorité arbitraire, glorifient la liberté au prix de la mort.
Lorsque Beethoven reçoit la commande d’une musique de scène pour la création viennoise de la tragédie de Goethe, il exprime dans sa musique une vive sympathie et s’identifie même nettement à son rôle-titre emprisonné et décapité pour n’avoir voulu transiger avec son idéal. C’est tout naturellement que la présente équipe artistique cherche à se réapproprier l’œuvre comme un matériau malléable reflétant ses propres préoccupations pour délivrer une restitution du drame certes tronquée mais pertinente pour aujourd’hui.
Filmés en direct, les comédiens arpentent l’espace volontairement inconfortable et saturé d’un amas chaotique de tôle, de palettes et de pneus de voiture. Baigné dans la pénombre, ce capharnaüm à la Matthias Langhoff est signé de Benjamin Hautin qui fut aussi entre autres le scénographe de Vincent Macaigne. Sur scène, se catalysent les énergies contrariées et les illusions perdues, s’exacerbe une inévitable violence. Entre les barricades, la jeune soprano Sheva Tehoval qui interprète Klara, le seul rôle chanté, fait figure d’étendard de la gronde populaire munie d’un mégaphone dans son beau premier air Die trommel gerühret.
Laurence Equilbey dirige sa formation sur instruments d’époque. L’Insula Orchestra déploie imperturbablement le climat grave et solennel de la partition tout en conservant une clarté lumineuse pour donner à entendre une élégiaque et victorieuse jubilation sonore. Directrice du Centre Dramatique National d’Orléans, Séverine Chavrier est une metteuse en scène interventionniste et une fine musicienne. Elle organise sur vidéo et autour de l’orchestre un monde en crise perverti par l’exclusion, l’hyperconsommation et la désinvolture idéologique. A travers une bien singulière et déroutante proposition montrée en partenariat avec le Théâtre de la Ville, les deux femmes forment un duo qui ose interroger la capacité de l’art élitaire à réfléchir un monde qui n’est pas nécessairement celui du public venu écouter la sublime musique de Beethoven. Elles imposent l’agitation de la rue, la souffrance du peuple, dont le compositeur porte les valeurs et les aspirations.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Egmont
Musique : Ludwig van Beethoven
Livret : Goethe
Direction : Laurence Equilbey
Mise en scène et réalisation : Séverine Chavrier
Dramaturgie : Beate Haeckl
Avec : Insula orchestra , Sheva Tehoval, Klara
Comédiens
(distribution en cours)
Comte d’Egmont,
Guillaume d’Orange
Duc d’Albe, Ferdinand
Insula orchestra
Laurence Equilbey, direction
Séverine Chavrier, mise en scène
Beate Haeckl, dramaturgie
Benjamin Hautin, scénographe
Thomas Guiral, vidéaste
Patrick Riou, créateur lumière
Production déléguée Insula orchestra / Coproduction CDN Orléans-Centre-Val de Loire Durée : 1h3021 et 22 sept 2017
20h30 – Île Seguin, La Seine Musicale7 oct
20h30 – Saint-Quentin-en-Yvelines, Théâtre
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