Le collectif (LA)HORDE composé de Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel a été nommé en avril 2019 à la tête du Ballet National de Marseille. Leur dernière création Room with a view a été interrompue par le premier confinement en mars 2020 en plein succès au Théâtre du Châtelet. Mais les projets du collectif pour le BNM sont nombreux. Ils ont passé l’hiver à peaufiner la nouvelle création du ballet confiée à Lucinda Childs, Tânia Carvalho, Lasseindra Ninja et Oona Doherty. Rencontre avec un collectif qui a totalement transformé l’âme de ce ballet qui va fêter ses 50 ans en 2022.
Les locaux du Ballet National de Marseille sont une véritable ruche. Dans le bâtiment tout en blanc construit par l’architecte Roland Simounet dans le parc Henri Fabre se croisent les danseurs du ballet et ceux de l’École Nationale Supérieure de Danse. Depuis 2017, les deux directions sont indépendantes, ce qui n’était pas le cas à la création du lieu en 1972 par Roland Petit. Au fil des directions, les relations se sont distendues. L’une des premières décisions du collectif (LA)HORDE a été de recréer des liens. « C’est un chance d’avoir une école dans le même bâtiment, même si ce sont des structures séparées » se réjouit Jonathan Debrouwer. « Cela permet de créer des ponts. Les étudiants peuvent venir observer le processus de création, on a réouvert les portes qui étaient fermées. Et cela a permis à un jeune de l’école de passer en apprentissage au ballet. Il est même l’une des figures importantes de la pièce de Lasseindra Ninja qui est en cours de création. On est très fier de cela, de créer des liens. » Cela n’était pas arrivé depuis longtemps au ballet, du temps de Roland Petit, plusieurs marseillais ont été engagés au BNM, dont Thierry Le Floc’h et son épouse Mitou Manderon, nommés « Principaux ».
En arrivant en septembre 2019 à Marseille, (LA)HORDE n’a pas eu le temps de gamberger. Le collectif est arrivé avec dans ses cartons une création, Room with a view. « Quand on a été invité par RONE à écrire un spectacle pour le Châtelet, on avait déjà commencé à travailler sur le dossier de candidature au BNM, et du coup on avait dans l’optique de peut-être le réaliser en étant ici » se souvient Marine Brutti. Quand le collectif pose ses valises à Marseille il embarque toute l’équipe dans le processus de création. « Les six premiers mois ont été riches, car on s’est tout de suite plongé dans la création » poursuit Jonathan Debrouwer « Quand nous sommes entrés dans le processus de création de Room with a view, on demandait à chaque fois aux équipes de venir voir des étapes de travail, ce qu’ils ne faisaient pas forcément auparavant. On est tous sur le même bateau, c’est important qu’elles sachent comment défendre le projet artistique. Elles sont notre premier regard extérieur. Cette pièce a fédéré tout le monde, les anciens danseurs de la compagnie et les nouveaux qui sont arrivés avec nous. La dynamique a tout de suite été enclenchée ». « Les œuvres sont des moments pour construire, pour inviter des regards » complète Marine Brutti. « Le fait d’arriver avec des projets nous a permis toute de suite de trouver les solutions pour prendre pleinement notre poste. Arriver ici a été une source d’inspiration supplémentaire, avec ce lieu rempli d’histoire, avec ses pratiques, avec un outil formidable pour passer du temps en studio. Tout cela a nourri la création. Quand on regarde la scénographie de Room with a view et quand on voit le bâtiment du BNM, il y a des similitudes. L’histoire de cette pièce c’est à la fois notre rencontre avec RONE et avec le BNM. »
Le collectif (LA)HORDE souhaite préserver l’histoire du BNM tout en impulsant sa propre dynamique. Elle est résumée par Arthur Harel. « Notre projet est un manifeste que nous défendons à 200% avec les équipes et on leur a proposé d’apprendre à se connaître dans le faire. Il n’y a pas eu de transition, elles ont tout de suite étaient dans le concret du projet. Le BNM a une histoire incroyable depuis 50 ans depuis sa fondation par Roland Petit avec Zizi Jeanmaire qui n’était pas très loin. L’histoire artistique est magnifique. Keith Haring, David Hockney, Yves Saint-Laurent sont passés par ces murs, et pour certains membres de l’équipe, ils ont connu cette période. Leur expérience du BNM est bien plus importante que la nôtre . »
Room with a view coupé dans son élan
Le collectif est parvenu en quelques mois seulement à donner une impulsion au BNM malgré les conditions particulières liées à la pandémie de la Covid-19 qui ont contrecarré pas mal de plans, notamment la tournée de Room with a view qui a été interrompue pendant sa création au Théâtre du Châtelet. « On a pu jouer la pièce à Cavaillon une fois en octobre, on a tout de même présenté une version performative à La Criée de 45 minutes pour que le public de Marseille découvre notre travail » se réjouit Marine Brutti. « Mais on a hâte de pouvoir la présenter dans sa version définitive. Au Châtelet, 7 dates sur 10 ont été maintenues en mars 2020. La générale était pleine à craquer, on a joué trois fois à 100% puis on est passé à demi-jauge, et enfin les dernières ont été annulées. Le décor est même resté en place pendant des mois, car les équipes techniques ne pouvaient pas revenir à Paris pour démonter le décor. »
Du coup (LA)HORDE a pris le temps de continuer à structurer son projet pour le BNM. « On découvre ce que c’est d’être des artistes à la tête d’une institution » explique Arthur Harel. « Dans nos pratiques artistiques on s’est intéressé à des communautés déjà constituées, on travaille avec des savoir-faire et des écritures qui existent avant nous, qu’elles soient traditionnelles ou qu’elles aient émergé en ligne comme le jumpstyle. On considère le BNM comme une communauté éphémère de danseurs. Ce n’est pas une chapelle dans laquelle on viendrait développer que notre travail mais une structure qui pourrait accueillir aussi l’écriture d’autres artistes avec des esthétiques complétement différentes des nôtres. Ce qui nous passionne c’est de voir que la construction de la production peut avoir un rapport ultra conceptuel et artistique y compris dans l’institution. Il y a une éthique de la production à Marseille avec une notion de répertoire passionnante. » Et cette éthique se traduit par la prochaine création suivie de très prés par le collectif, une commande du Théâtre de la Ville et du Théâtre du Châtelet de Claire Verlet et Ruth MacKenzie avec une programme mixte, composé de pièces de Lucinda Childs, Tânia Carvalho, Lasseindra Ninja et Oona Doherty qui sera créé au Théâtre de la Criée le 31 mars.
Lucinda Child en zoom
Cette création est un exercice de style pour Marine Brutti. « C’est beau de montrer à quel point le répertoire chorégraphique des danseurs peut être divers. De les voir se transformer, cela les met en valeur, et cela met en valeur la pluralité de leurs identités. C’est la première fois en tant qu’artistes que l’on porte le travail d’autres chorégraphes. » Et pandémie oblige, il a fallu adapter le travail dans le studio. Si Tânia Carvalho et Lasseindra ont pu diriger physiquement les danseurs, cela n’a pas été possible pour les autres. Oona Doherty n’a pas pu se déplacer mais Sandrine Mufasa avec qui elle a plusieurs fois dansé a pu transmettre le matériel chorégraphique. Quand à Lucinda Childs, c’est de l’Etat de New-York qu’elle a suivi les répétitions via le logiciel zoom. Comme cette pièce fait partie du répertoire du ballet, elle a été supervisée par Valentina Pace, répétitrice du BNM qui l’avait dansée à l’époque et par Thierry Hauswald – l’autre répétiteur du ballet – qui lui a été l’assistant de Lucinda Childs. « Ils portent la mémoire de la pièce. Ils ont posé les bases et Lucinda a pu regarder les détails et apporter les corrections par zoom » explique Jonathan Debrouwer. « Finalement s’il n’y avait pas eu la Covid-19, on n’aurait peut-être pas passé autant de temps avec Lucinda ! » renchérit Arthur Harel. La chorégraphe américaine est en quelque sorte la bonne fée du collectif. Membre du jury du concours Danse Elargie organisé par le Théâtre de la Ville en 2017, c’est elle qui leur avait remis le prix.
Quand on leur demande quelle sera leur prochaine création, le collectif n’en n’a pas la moindre idée. Il a d’abord envie de faire vivre leurs créations, Marry me in Bassiani puis Room with a view. « Notre esprit créatif est un grand magma souterrain, il y a une tectonique des plaques qui se fait au-dessus et à certains moment on voit jaillir des volcans, pour créer à la fin un archipel. Toutes nos œuvres sont un cheminement qui sont des marqueurs sur la pensée que l’on développe ensemble » explique Marine Brutti. « On ne pose pas la question de la date de notre prochaine création, on est avant tout dans le partage avec les artistes. On a beaucoup de mal de penser à une œuvre sans penser à sa destination. On crée une œuvre pour qu’elle existe. Room with a view n’a pas encore vécu suffisamment. Avant que l’on puisse réécrire quelque chose, on a besoin de la voir vivre. Il faut prendre soin de nos œuvres et de nos danseurs. Le corps est un outil. Cette période a été une année tragique pour eux. Il y a des danseurs qui peinent à rattraper ce qu’ils ont perdu pendant le premier confinement. Ce serait trop difficile de perdre des générations de danseurs. »
Jonathan Debrouwer, Marine Brutti et Arthur Harel sont aux petits soins pour eux, toujours attentifs à leur bien être. En bons patrons d’une institution qu’ils sont devenus, ils veillent à la santé de chacun et mettent un point d’honneur à faire respecter les mesures sanitaires dans les locaux du BNM, comme le port du masque lorsque les artistes ne sont pas sur scène. Ils veulent aussi prendre soin de l’outil qui leur a été confié par l’Etat, et préparent avec méthode les célébrations du 50e anniversaire du Ballet en 2022.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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