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« LACRIMA » : le tourbillon des oppressions de Caroline Guiela Nguyen

A voir, Festival d'Avignon, Les critiques, Luxembourg, Lyon, Paris, Rennes, Théâtre
Caroline Guiela Nguyen crée LACRIMA au Festival d'Avignon 2024
Caroline Guiela Nguyen crée LACRIMA au Festival d'Avignon 2024

Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

La nouvelle directrice du Théâtre national de Strasbourg réussit, à nouveau, son pari de la grande odyssée fictionnelle. Architecte d’un art dramatique par toutes et tous, et pour toutes et tous, elle transforme le plateau en lieu d’accueil, d’exploration et de consolation des tourments intimes des femmes et des hommes confrontés, aux quatre coins du monde, à un enchevêtrement de dominations.

Traduire les paroles politiques en actes artistiques. Dans le monde théâtral, cette ambition ressemble parfois à un voeu pieux, tant la volonté vilardienne d’élargissement des publics, exprimée par nombre d’artistes, peine, malheureusement, à toujours se concrétiser dans les faits. Lors de la présentation de saison 2024-2025 du Théâtre national de Strasbourg (TnS), qu’elle dirige depuis le 1er septembre dernier, Caroline Guiela Nguyen avait sonné le rassemblement et fait de cette « question viscérale » la pierre angulaire de son projet. Convaincue que « le théâtre doit être partagé au maximum », elle avait égrené les noms des artistes présents dans sa programmation, qui, à ses yeux, avaient toutes et tous cet objectif « chevillé au corps » et parvenaient toutes et tous à le « lier intrinsèquement à leur geste artistique ». Avec LACRIMA, qu’elle présente dans le cadre du 78e Festival d’Avignon, avant d’entamer une longue tournée française et européenne, la metteuse en scène prouve, une nouvelle fois, dans la droite lignée du travail qu’elle mène depuis nombre d’années, et notamment de Saïgon, qu’elle peut bel et bien s’imposer comme leur cheffe de file, comme l’architecte d’un théâtre réunificateur, bâti par toutes et tous et pour toutes et tous.

Sous-titrée « Une histoire contemporaine des larmes », cette nouvelle pièce, qu’elle signe pour la première fois à elle seule, se place résolument à hauteur de femmes et d’hommes, et au contact de leurs tourments intimes. Au centre de l’odyssée fictionnelle qu’elle ose édifier, se trouve une robe, ample et sublime, immaculée et magnétique. Avec son dos brodé et sa longue traîne, elle pourrait logiquement s’imposer comme une source de beauté, et surtout de fierté pour ses créatrices et créateurs. Las, d’entrée de jeu, elle apparaît plutôt comme une menace et l’une des causes du malheur de la femme qui, installée à son bureau, lui tourne désormais le dos. Première d’atelier de la maison de haute-couture Beliana, située dans le 1er arrondissement de Paris, Marion Nicolas est en pleine conversation Zoom avec sa médecin, visiblement inquiète. Dans un état quasi second, la couturière donne des signes d’extrême fébrilité et ne tarde pas à avouer qu’elle a « fait ce qu’il fallait faire », soit, on le comprend bien vite, avaler une série de cachets pour mettre fin à ses jours. Alors que les pompiers, alertés par la professionnelle de santé, arrivent pour lui porter secours, le temps s’interrompt et l’action se rembobine pour prendre place huit mois plus tôt, au printemps 2025, soit « 4688 heures de travail avant la tragédie ».

Vertigineuse, cette quantité de labeur est le résultat d’une mission d’exception confiée à Beliana : confectionner une robe de mariée pour les noces de la princesse d’Angleterre. Creuset d’excitation pour les membres de l’atelier, ce projet charrie son lot d’exigences stylistiques, pour faire de cette pièce un bijou unique, mais aussi de contraintes contractuelles, à commencer par le sceau du silence auquel doivent se soumettre l’ensemble des actrices et des acteurs qui participent à cette création. Au-delà des ouvrières et des ouvriers de la maison parisienne, elle mobilise des brodeuses de l’Atelier national du point d’Alençon, chargées de restaurer le fameux voile de mariée en dentelle conservé comme un trésor muséal, et un atelier de Mumbaï, en Inde, reconnu pour son savoir-faire exceptionnel en matière de broderie. Marion à Paris, Thérèse à Alençon et Abdul à Mumbaï deviennent alors les trois clefs de voûte de cette opération hors norme, mais se retrouvent, chacun à leur endroit, personnellement percutés par ses conséquences et pris au piège d’une toile d’araignée qui se tisse à mesure que la robe est brodée.

Cette plongée inédite dans l’arrière-cuisine du monde de la mode, qui, si elle reste fictionnelle, est empreinte de réalisme et fondée sur un minutieux et remarquable travail de recherche et de terrain conduit par Caroline Guiela Nguyen, prend, et c’est là sa force, un tour éminemment politique lorsqu’elle révèle un système d’oppressions plurielles. Assemblées, elles forment un vortex qui, comme dans toute tragédie, aspire irrémédiablement les personnages. Imposé par la confidentialité du projet, le diktat du silence est aussi vécu par Thérèse, lestée par des secrets de famille qui pourraient coûter cher à sa petite-fille, et par Marion, confrontée à son collègue de mari toxique, jaloux et violent, et à sa fille en souffrance. Il se combine à la tyrannie masculine, exercée de concert par le conjoint de Marion et par le couturier à l’origine du patron de la robe. À la chape de plomb hiérarchique qui tend à briser les maillons de la chaîne de fabrication, s’ajoute une oppression sociale conduite par une classe dominante, incarnée par la princesse d’Angleterre. Au nom d’un luxe et d’une ostentation futiles, elle broie, sans même en avoir conscience, la santé mentale et physique des ouvrières et des ouvriers à son service, quand, en parallèle, un asservissement méprisant du Sud par le Nord se fait jour par le biais d’exigences excessives en matière de délais, de coûts et de normes éthiques et d’une négation de la parole, pourtant experte, des professionnels de Mumbaï.

Là où elle pourrait se perdre, et nous perdre, dans les multiples fils narratifs qu’elle déploie, Caroline Guiela Nguyen parvient, au contraire, à les tisser fermement pour donner naissance à un flot dramatique d’une limpidité et d’une fluidité éclatantes, qui reprend sans rougir les codes scénaristiques du feuilleton. Grâce à sa maîtrise du plateau, qui n’est plus à prouver, elle parvient sans peine, à l’aide de la vidéo, des lumières et des idées dramaturgiques – à l’image des entretiens radio réalisés avec les brodeuses d’Alençon –, à donner une identité scénique particulière à chacun des fragments de son histoire, et ainsi à voguer sans heurt à travers le monde. Si l’on pouvait rêver que les prises de position politiques soient, parfois, plus radicales et que l’exploration des différents métiers soit encore davantage approfondie, ce spectacle a, malgré tout, l’immense mérite de lever le voile sur le travail de professionnels de l’ombre, et de mettre en lumière des catégories socio-professionnelles et des individus originaires de l’hémisphère Sud habituellement peu présents sur les plateaux de théâtre français. Pour cela, et comme à son habitude, Caroline Guiela Nguyen ose le mélange des comédiennes et comédiens professionnels et amateurs, et parvient, peut-être encore davantage qu’hier, à générer une homogénéité entre eux et à satisfaire son impérieux besoin de crédibilité théâtrale. Dans les magnifiques costumes imaginés par Benjamin Moreau, et réalisés par l’atelier de couture du TnS, qui démontre la préciosité du savoir-faire de ses équipes de création, toutes et tous, à commencer par Maud Le Grevellec, Liliane Lipau et Nanii, s’illustrent dans des rôles qui trahissent l’affection que Caroline Guiela Nguyen porte à ses personnages, et, à travers eux, à tout le genre humain.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

LACRIMA
Texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen
Avec Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Maud Le Grevellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam et en vidéo Nadia Bourgeois, Charles Schera, Fleur Sulmont et les voix de Louise Marcia Blévins, Béatrice Dedieu, David Geselson, Kathy Packianathan, Jessica Savage-Hanford
Traductions Nadia Bourgeois, Carl Holland, Rajarajeswari Parisot (langue des signes française, anglais, tamoul)
Collaboration artistique Paola Secret
Scénographie Alice Duchange
Costumes et pièces couture Benjamin Moreau
Musique Jean-Baptiste Cognet, Teddy Gauliat-Pitois, Antoine Richard
Son Antoine Richard en collaboration avec Thibaut Farineau
Lumière Mathilde Chamoux, Jérémie Papin
Vidéo Jérémie Scheidler
Motion Design Marina Masquelier
Coiffure, postiches et maquillage Émilie Vuez
Casting Lola Diane
Consultation artistique Juliette Alexandre, Noémie de Lapparent
Musiques enregistrées Quatuor Adastra – quatuor à cordes
Traduction en anglais pour le surtitrage Panthea (anglais)
Assistanat à la mise en scène Iris Baldoureaux-Fredon
Assistanat à la dramaturgie Louison Ryser, Tristan Schinz, Hugo Soubise
Régie générale Stéphane Descombes, Xavier Lazarini
Régie plateau Fabrice Henches
Régie vidéo Jérémie Scheidler, Philippe Suss (en alternance)
Régie lumière Mathilde Chamoux, Thibault D’Aubert (en alternance)
Régie son Julien Feryn
Habillage Bénédicte Foki

Production Théâtre national de Strasbourg
Coproduction Festival TransAmériques (Canada), La Comédie Centre dramatique national de Reims, Points communs Nouvelle Scène nationale (Cergy-Pontoise), Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Centro Dramático Nacional (Espagne), Piccolo Teatro di Milano Teatro d’Europa (Italie), Théâtre de Liège (Belgique), Wiener Festwochen Freie Republik Wien (Autriche), Théâtre national de Bretagne (Rennes), Festival d’Avignon, Les Hommes Approximatifs
Conception et construction des décors, costumes et broderies Les ateliers du Théâtre national de Strasbourg
Avec le soutien de Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris), Théâtre Ouvert Centre national des dramaturgies contemporaines (Paris), La Maison Jacques Copeau (Pernand-Vergelesses), Musée des Beaux-arts et de la Dentelle (Alençon), Atelier-Conservatoire National du Point d’Alençon, Institut français (New Delhi), Alliance française (Mumbai) et pour la 78e édition du Festival d’Avignon : Spedidam

LACRIMA de Caroline Guiela Nguyen est publié aux éditions Actes Sud.

Durée : 2h55

Vu en juillet 2024 dans le cadre du Festival d’Avignon

Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris
du 9 janvier au 6 février 2025

Les Célestins Théâtre de Lyon
du 13 au 21 février

Théâtre national de Bretagne, Rennes
du 26 au 28 février

Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
les 14 et 15 mars

Théâtre de Liège (Belgique)
les 20 et 21 mars

Centro Dramático Nacional, Madrid (Espagne)
du 28 au 30 mars

9 janvier 2025/par Vincent Bouquet
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