Photo Philippe Lebruman
Jean-Christophe Meurisse et sa troupe investissent un hĂŽpital psychiatrique oĂč, malgrĂ© leur engagement, ils ne parviennent pas Ă renouer avec leur (im)pertinence d’antan.
Aux urgences psychiatriques des Chiens de Navarre, l’ambiance n’est plus franchement Ă la fĂȘte. De toutes parts, leur hĂŽpital prend l’eau, Ă la maniĂšre d’un navire, dĂ©jĂ en ruines, qui n’en finirait, malgrĂ© tout, plus de dĂ©river. Au plafond, la rosace en verre est transpercĂ©e par une branche d’arbre luxuriante, tandis que, entre deux fuites, du lierre s’est mis Ă grimper sur les murs. Sur le sol jonchĂ© de terre, le distributeur de cannettes se contente de manger la monnaie des uns et des autres, les fauteuils en cuir sont mĂ©chamment Ă©limĂ©s et les casiers affichent un Ă©tat dĂ©plorable. Juste au-dessus, trĂŽne une modeste pendule, invariablement bloquĂ©e sur 6h30. Est-ce l’heure de la catastrophe ? Celle du soir ou du matin ? A l’image des aiguilles dĂ©missionnaires, tout le monde semble s’en moquer Ă©perdument, comme si tout, finalement, et par nĂ©gligence, avait atteint un point de non-retour. Dans le champ de la psychiatrie hospitaliĂšre, comme ailleurs.
Car, sur ce substrat salement amochĂ©, Jean-Christophe Meurisse a dĂ©cidĂ© de faire pousser des ramifications, comme autant de miroirs dĂ©formants de notre sociĂ©tĂ©. Au milieu dâune troupe de soignants qui sâoccupent davantage des cagnottes entre collĂšgues et du distributeur en rade que des patients dont ils ont la charge, atterrit, au compte-gouttes, une petite collection d’Ă©clopĂ©s plus ou moins ordinaires. S’y croisent une jeune femme tombĂ©e en sĂ©vĂšre dĂ©pression aprĂšs le dĂ©cĂšs de son idole, le chanteur Christophe â quâelle avait rencontrĂ© une fois Ă l’occasion d’une soirĂ©e aligot saucisse ; une quadragĂ©naire cĂ©libataire qui angoisse Ă lâidĂ©e de ne jamais trouver de compagnon de vie, au-delĂ de son adorable chien Bernie, et qui se fait malmener par une gynĂ©cologue aux mĂ©thodes peu orthodoxes et par une chirurgienne esthĂ©tique qui entend bien « changer les fenĂȘtres et faire le ravalement » ; mais aussi un quinquagĂ©naire boutĂ© hors de son entreprise par deux nouveaux patrons qui, sous leurs airs cools et leurs discours Ă©cologistes, se comportent en managers de la pire espĂšce. Pour complĂ©ter le tableau, quelques embardĂ©es politiques sont raccrochĂ©es de force Ă la locomotive dramaturgique, tels cette entrĂ©e en matiĂšre oĂč, aprĂšs un dĂ©bat houleux Ă lâAssemblĂ©e Nationale, un dĂ©putĂ© RN est envoyĂ© Ă lâhĂŽpital psychiatrique par ses collĂšgues, cet affrontement violent entre gilets jaunes et CRS â oĂč, et cela semble pour le moins douteux, ce sont les seconds qui finissent Ă©borgnĂ©s, les mains arrachĂ©es et violĂ©s par des matraques â, et cette arrivĂ©e en fanfare d’un politicien en campagne, prĂȘt Ă tout entendre et Ă tout subir, y compris les assauts uro-scatologiques dâun schizophrĂšne.
LĂ oĂč Julie Duclos avait, en dĂ©but de saison, en grimpant sur les Ă©paules du Kliniken de Lars NorĂ©n, investi une unitĂ© psychiatrique pour explorer, dans un mĂ©lange de doigtĂ© et de sublime, les maux, individuels et sociaux, par le versant intime, câest avec un tout autre regard, caustique et bravache, comme le veut la tradition potache de la compagnie, que l’auscultent Les Chiens de Navarre. Toutefois, et contrairement Ă ce qu’ils avaient pu faire par le passĂ©, le lieu, qui aurait pu servir de base arriĂšre Ă une rĂ©flexion politico-sociale, est rapidement relĂ©guĂ©, avec une certaine maladresse, au rang de prĂ©texte, de fil conducteur particuliĂšrement mince pour s’adonner Ă un strict empilement de sketchs. Dindons de la farce, jamais creusĂ©s, les patients sont alors tout juste bons Ă ĂȘtre des fous dâEpinal, grossiers, caricaturĂ©s â le schizophrĂšne Ă©tant forcĂ©ment un monstre violent et la quadragĂ©naire enrobĂ©e une femme qui n’a pas eu de rapports sexuels depuis mathusalem â et utilisĂ©s comme simples tremplins au dĂ©lire humoristique.
ProtĂ©gĂ©es par le sceau de l’ironie, certaines de ces gaucheries pourraient se transformer en catalyseurs. Las, si les mises en situation tiennent rĂ©guliĂšrement bons, malgrĂ© quelques intentions un peu faiblardes, lâĂ©criture de plateau des comĂ©diennes et comĂ©diens peine Ă prendre de la force et de la hauteur, comme si Les Chiens de Navarre avaient dĂ©sormais les crocs limĂ©s. Sâils tentent bel et bien de mordre, leur geste reste le plus souvent sans effet et sâembourbe dans un triste surplace, ne sachant plus trop quoi dire une fois la situation de dĂ©part Ă©puisĂ©e. Quelques portes ouvertes sont enfoncĂ©es, certaines saillies font mouche, et sourire, mais ils sont rares, pour ne pas dire inexistants, les moments oĂč lâon rit Ă gorge dĂ©ployĂ©e, et sans arriĂšre-pensĂ©e. Câest que la troupe ne parvient pas Ă transformer lâessai, Ă renouer avec lâart de celle dâantan, qui, Ă la pire des crasses, faisait succĂ©der ce brin, sensible et sensĂ©, de poĂ©tique. Si les comĂ©diens font montre de leur engagement, et ne dĂ©mĂ©ritent jamais dans leur façon de se soumettre Ă tous les possibles scĂ©niques, l’ensemble parait, au sortir, irrĂ©mĂ©diablement vain, incapable de se dĂ©gager des facilitĂ©s intellectuelles dĂ©jĂ servies, Ă tour de bras, au quotidien.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La vie est une fĂȘte
par Les Chiens de Navarre
Mise en scĂšne Jean-Christophe Meurisse
Avec Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch et Bernie
Collaboration artistique Amélie Philippe
Chorégraphie Jérémy Braitbart
LumiÚres Stéphane Lebaleur
Son Pierre Routin
Figuration Margaux Achide-RocheProduction Chiens de Navarre
Coproduction Les Nuits de FourviĂšre ; La Villette â Paris ; MC2: Grenoble ; Le Volcan â ScĂšne nationale du Havre ; TAP â Théùtre Auditorium de Poitiers ; Teatros del Canal â Madrid ; Le Quartz â ScĂšne nationale de Brest ; La ComĂšte, scĂšne nationale de ChĂąlons-en-Champagne ; MC93 â Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis ; La Rose des Vents â ScĂšne nationale de Villeneuve-dâAscq ; ScĂšne nationale CarrĂ©-Colonnes â Bordeaux MĂ©tropole ; Les Salins â ScĂšne nationale de Martigues ; Le ManĂšge â ScĂšne nationale de Maubeuge ; ChĂąteau Rouge â ScĂšne conventionnĂ©e dâAnnemasse ; LâOnde théùtre â Centre dâart de VĂ©lizy-Villacoublay
Avec le soutien du Théùtre des Bouffes du Nord, de la Ferme du Buisson â ScĂšne nationale de Marne-la-VallĂ©e et de la Maison des arts de CrĂ©teil
La compagnie Chiens de Navarre est soutenue par la Drac Ăle-de-France â MinistĂšre de la Culture, et la rĂ©gion Ăle-de-France, au titre de la permanence artistique et culturelle.DurĂ©e : 1h45
Bouffes du Nord – Paris
Du 12 au 29 septembre 2024
Du mardi au samedi Ă 20h
Matinées les dimanches 22 et 29 septembre à 15h
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?NâhĂ©sitez pas Ă contribuer !