Accompagnée de la musicienne Lucie Sansen, Marie Fortuit expose ce qui la lie à Anne Sylvestre, chanteuse et parolière incomparable, à travers une forme intimiste alternant chansons et confidences. La Vie en vrai (avec Anne Sylvestre) fait de la relation tissée entre la comédienne trentenaire et le legs de la compositrice décédée le noyau dramaturgique de ce spectacle aussi délicat que généreux et courageux.
Elle vient de décrocher le prix de la révélation théâtrale 2023 tout récemment remis par le Syndicat de la Critique Théâtre, Musique et Danse pour Ombre (Eurydice parle), sa dernière création d’envergure, ample et déployée, d’après un texte dense et à rebrousse poil d’Elfriede Jelinek, revisitant le mythe d’Orphée du point de vue d’Eurydice. Artiste associée au CDN d’Orléans, au CDN de Besançon, membre du Pôle Européen de création du Phénix – Scène Nationale de Valenciennes, Marie Fortuit a le vent en poupe et pour cause. Son profil singulier croise un passé de footballeuse de haut niveau, des collaborations épanouissantes (notamment avec Célie Pauthe) avec un chemin de comédienne, autrice et metteuse en scène rigoureux autant que généreux, chevillé à un féminisme radieux, jamais didactique, ni donneur de leçons. Elle a fondé sa compagnie au titre programmatique, Les Louves à minuit, en 2020 dans les Hauts de France, région qu’elle affectionne. La Vie en vrai (avec Anne Sylvestre) est le premier projet impulsé depuis. La créatrice y poursuit son geste artistique ouvertement militant, entremêlant poétique et politique en bon équilibre. Délicatement.
Dans une forme intimiste et de proximité qui se contente pour nous parvenir de nous regarder droit dans les yeux, de jouer cartes sur table et d’oser réunir parole auto-fictive, extraits d’interviews et archives radiophoniques, le tout bien entendu cousu serré avec une sélection de chansons interprétées par notre hôte, Marie Fortuit se raconte à travers les titres d’Anne Sylvestre qui ont jalonné sa vie en écho. Ni chanteuse, ni musicienne de formation, elle porte cette proposition avec simplicité, comme la guitare qu’elle enfile de temps à autre en bandoulière pour s’accompagner. C’est sans chichis et depuis un endroit qu’elle connaît bien, l’interprétation, qu’elle a décidé de faire vivre ce répertoire ciselé, miroir de nos enjeux au féminin et de tisser les fils qui nous y relient encore aujourd’hui. Pas d’effets de virtuosité ni de style outrancier, elle a choisi la sobriété et ce choix n’en est pas moins puissant. Il expose autant que ce qu’elle livre entre les mots dans ses prises de parole en pointillés et il y a dans son visage juvénile et mature à la fois, dans la douceur de ses traits et le grain de sa voix quelque chose d’offert et poreux qui témoigne de la sincérité du geste.
Mais La Vie en vrai n’est pas un seule en scène et Marie Fortuit y est accompagnée avec aisance et tact par la lumineuse musicienne Lucie Sansen, au clavier, à l’harmonium et aux arrangements subtils. L’une brune, tee-shirt noir sur pantalon blanc, timbre grave. L’autre, blonde, chemisier blanc sur pantalon noir, timbre clair. Sobriété vestimentaire qui dit pourtant en sourdine leur complémentarité. Leur complicité est palpable, mais pas soulignée. Le duo se partage l’espace et la parole dans une harmonie agréable faite d’écoute et de respect. Chacune y a sa place, sa juste place. Le spectacle s’ouvre avec la voix d’une autre chanteuse, Michèle Bernard, interviewée lors du décès, en 2020, de celle qui a bercé plusieurs générations de ses fabulettes, artiste immense trop souvent cantonnée à ce registre enfantin, elle qui a pourtant produit un foisonnant répertoire de chansons d’une cohérence, d’une pertinence, d’une profondeur et d’une justesse inouïe.
Parolière d’exception, féministe avant l’heure, pionnière en son genre, prenant à bras le corps des thématiques douloureuses, le viol notamment (dans “Douce Maison”), attendant patiemment de trouver le bon angle pour aborder ses sujets, Anne Sylvestre nous laisse un catalogue musical où puiser la bande originale de nos vies. Et c’est ce que fait Marie Fortuit, en tissant sous nos yeux des épisodes épiphaniques de son existence avec des titres plus ou moins connus qui sécrètent leurs colliers d’émotions entremêlées. Entre humour et gravité, colère et mélancolie, rondes de tendresse toujours, les tonalités des chansons rejaillissent sur ce spectacle sensible qui dit tout bas sa gratitude envers une artiste discrète et éternelle. Et célèbre nos sororités autant que les sorcières de toutes espèces.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
La Vie en vrai (avec Anne Sylvestre)
Mise en scène Marie Fortuit
Avec Marie Fortuit et Lucie Sansen
Arrangements musicaux Lucie Sansen
Collaboration artistique Agathe Charnet et Mélanie Charreton
Scénographie Louise Sari
Création lumière et régie générale Thomas CottereauProduction Les Louves à Minuit
Partenaires et soutiens Centre Dramatique National de Besançon, Le Phénix – Scène nationale de Valenciennes, Comédie de Béthune – Centre dramatique national, Les Plateaux Sauvages (Paris), Centre Dramatique National d’Orléans, Théâtre de l’Atelier (Paris).Durée : 1h05
Comédie de Picardie, Amiens
février 2024Théâtre de l’Athénée – Paris
Salle Christian-Bérard (4ème étage sans ascenseur)
du 25 avril au 5 mai 2024
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