Cécile Morelle, comédienne et petite fille d’agricultrice, explore les ruralités conjuguées au féminin dans un seul en scène authentique et autobiographique.
« Est-ce que je peux vous demander d’où vous venez ? » Cécile Morelle débute son spectacle un micro à la main et interpelle le public. « Est-ce qu’il y a une odeur qui vous fait penser à votre enfance ? Qu’est-ce que vous voyiez depuis la fenêtre de votre chambre ? » Les réponses sont timides, souriantes ou bien embarrassées. « Dans un petit village du Nord-Pas-de-Calais », entend-on, ou encore « J’ai très mal grandi à Casablanca, au Maroc ». La Trouée, comme quelqu’un qui cherche son trou, qui farfouille dans ses racines, est le premier seul en scène de Cécile Morelle, assistée par Chloé Duong et Édouard Peurichard. La comédienne originaire de Picardie, fondatrice de la compagnie Le Compost qu’elle a décidé d’implanter en zone rurale, à Fère-en-Tardenois, dans les Hauts-de-France, pratique assidûment la collecte de témoignages sur lesquels elle bâtit ses spectacles.
La narratrice débute ses pérégrinations à Paris. Le « tac-tac » infernal de ses talons sur le bitume est stoppé net dans sa course quand elle chute, s’effondre sur l’asphalte et s’écorche les genoux. « Le goût du fer me rappelle mon père quand il fait de la soudure. L’odeur du sang me rappelle les lapins déshabillés par Mamie Mado », nous raconte-t-elle. Les souvenirs d’enfance vont ainsi se mêler aux témoignages recueillis auprès d’agricultrices et paysannes partout en France pour retracer le chemin qui lie Cécile Morelle à son territoire. Avoir un chez-soi ? Venir de quelque part ? Où s’implanter ? S’installer ? Et pour quoi faire ? Au carrefour de sa vie active, la jeune femme bifurque. « Est-ce que le chez-moi de l’enfance c’est encore chez moi ? » Cécile préfère prendre la tangente, dépasser le périph’, jusqu’à ce qu’il devienne un chemin, et partir sillonner les campagnes à la recherche de son fameux « trou ». Sur scène, un grand monticule de terre, où la comédienne va creuser, farfouiller, s’enfouir à moitié.
On rencontre ainsi à ses côtés celles qui s’organisent en groupe de parole pour évoquer leurs réalité de femmes en milieu rural, celles qui viennent d’arriver et qui sont vues comme des étrangères, celles qui ont repris la ferme familiale. Elles évoquent leurs grossesses, leurs grand-mères qui n’ont pas cotisé pendant dix ans car elles étaient « femme d’agriculteur », travaillant sur la ferme sans statut, leur entraide pour mettre en commun des outils. « Quand je les vois toutes assises dans les plaines, je me dis que c’est elles qui font le paysage », souligne la narratrice. Ces récits sont entrecoupés de souvenirs de la comédienne qui évoque son enfance en Picardie : ses grands-parents agriculteurs, sa grand-mère Mado, son sarrau à fleurs, le bruit de la traite, le chien dans la cour de la ferme et la brutalité du pépé ; puis les études, Paris, la vie citadine. « Progressivement, je me suis sentie étrangère à mon propre paysage », regrette-t-elle. À travers ce voyage, Cécile apprend à mieux aimer ce pays d’où elle vient, « où la terre colle tellement qu’on dit qu’elle est amoureuse ». C’est l’une des phrases que la comédienne trace sur un grand mur blanc avec de la terre, là où va se dessiner progressivement un paysage de plaine.
Avec La Trouée, Cécile Morelle se place du côté du témoignage. Pour un récit qui porte la parole des femmes en milieu rural, les luttes politiques des agricultrices pour leurs droits sont malheureusement très rapidement balayés – la création du statut de conjoint collaborateur, l’obtention d’un congé maternité équivalent à celui des salariées – pour faire place au récit intime. Cela n’empêche pas Cécile Morelle de nous embarquer dans un spectacle qui résonne en chacun de nous et qui nous touche dans notre rapport universel à nos racines.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
La Trouée, road-trip rural
Texte Cécile Morelle
Mise en scène Chloé Duong, Cécile Morelle, Édouard Peurichard
Avec Cécile Morelle
Photographie Lucile Corbeille
Illustration Philippine Brenac
Vidéo animée Edouard Peurichard
Scénographie Albert MorelleProduction Compagnie Le Compost
Durée : 1h25
Festival Impatience
10 et 11 décembre 2024
Théâtre 13 / Glacière
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