Présentée comme le fruit d’une écriture à six mains par Sara Llorca, Omar Youssef Souleimane et Guillaume Clayssen, La terre se révolte créée à Marseille au Théâtre des Bernardines se propose d’interroger à travers une fiction la possibilité d’un dialogue entre Orient et Occident. Une belle ambition qui pâtit d’un traitement trop superficiel.
À quelques arrangements fictionnels près, la genèse de La terre se révolte est aussi l’argument principal de la pièce. Dans la réalité, l’auteure et metteure en scène française Sara Llorca et le poète et romancier syrien Omar Youssef Souleimane se rencontrent et développent une amitié qui cohabite avec de nombreux points d’incompréhension. Ils se font bientôt accompagner du dramaturge Guillaume Clayssen, qui en plus de son regard extérieur leur apporte ses connaissances philosophiques. Dans la pièce, l’étudiante Andrea (Lou de Laâge), contacte le poète syrien Wassim (Elie Youssef et Logann Antuofermo), en qui elle pense pouvoir trouver des réponses à sa recherche sur les liens entre Islam et philosophie des Lumières. Mais devant le jeune écrivain, les objectifs universitaires d’Andrea s’évanouissent au profit d’une quête plus intime : elle veut apprendre qui est Wassim, ce qu’il a enduré dans son pays qu’il a quitté après avoir participé à la révolution contre le régime de Bachar el-Assad. Et à travers lui, c’est aussi une part de son histoire familiale qu’elle cherche à éclaircir.
« Comment deux personnes qui n’ont en commun ni la même culture, ni le même sexe biologique, ni le même statut social, parviennent-elles à se parler vraiment, à ‘’faire conversation’’ ? ». Formulée par Sara Llorca dans son dossier, cette question devait être au cœur du spectacle. Or dès les premiers échanges entre Andrea et Wassim, le dialogue apparaît compliqué, voire impossible. Sur une mini-scène rotative installée au milieu du plateau, où un lit et quelques meubles figurent la chambre de l’écrivain, les deux acteurs principaux entament un échange accidenté malgré une évidente curiosité réciproque. Les questions directes et maladroites de la première suscitent chez l’autre des réponses à vif. Elles provoquent aussi une série de réminiscences, jouées à l’extérieur de la chambre-cabine par Logan Antuofermo et Raymond Hosny, qui incarne le père de Wassim et plusieurs autres personnages issus de son passé.
Inspirées Le Petit terroriste (Flammarion, 2018), le premier roman d’Omar Youssef Souleimane – il vient d’en publier un second, Le Dernier Syrien –, ces parenthèses offrent quelques informations sur le personnage. On apprend par exemple ses rapports conflictuels avec son père, dont il s’éloigne en même temps que de l’Islam. On assiste à la reconstitution de certains épisodes de son départ forcé de la Syrie vers la France, en passant par la Jordanie. Et régulièrement, René Descartes s’invite en la personne de Tom Pézier, qui délaisse parfois son langage de philosophe pour adopter celui de Blaise, un journaliste dont les questions sont beaucoup plus précises que celles d’Andrea. Ainsi assailli par ces représentants plus ou moins réalistes du monde extérieur, le couple central peine à faire avancer sa relation. Malgré un désir latent et des tentatives de rapprochement, la conversation patine.
Si la notion de liberté, la religion, la guerre ou encore l’amour s’invitent dans le tête-à-tête, ce n’est que de manière superficielle. Comme si la distance qui sépare les deux protagonistes était telle que même le débat était impossible. Toute en minauderies et en provocations, Lou de Laâge est une Andrea dont la colère ne trouve que peu d’explications dans le texte. On comprend certes que son père veut mettre fin à sa vie, et qu’elle a grandi dans une ignorance presque totale de ses racines andalouses. Mais cela n’explique pas la bouderie méprisante qu’elle oppose de manière presque systématique à son interlocuteur. Plus encore que celui de Wassim, son personnage aurait mérité d’être davantage creusé.
La présence silencieuse d’Ingrid Estarque, dont la danse envoûtante est sensée exprimer une part de l’inconscient d’Andrea, ne suffit pas à pallier ce manque. Les irruptions de Descartes ne nourrissent pas beaucoup plus la psychologie de Wassim. Toutes ces partitions semblent évoluer les unes à côté des autres sans jamais vraiment se croiser. Le changement de rôles liés à l’arrivée tardive de l’un des comédiens, du fait d’un visa accordé plus tard que prévu, explique sans doute une partie des faiblesses de la pièce qui, qui aurait gagné à rendre visibles une partie au moins une partie de son processus de création. En l’état, les difficultés de toute écriture collective semblent davantage subies qu’assumées. Et elles n’éclairent les rapports entre Orient et Occident que sous un jour déjà bien connu, sombre et orageux.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
La terre se révolte
Texte : Sara Llorca, Omar Youssef Souleimane, Guillaume Clayssen
Librement inspiré du récit Le petit terroriste de Omar Youssef Souleiman publié chez Flammarion (2018)
Mise en scène : Sara LlorcaDramaturgie : Guillaume Clayssen
Musique : Benoît Lugué
Chorégraphie : Ingrid Estarque, Sara Llorca
Scénographie et costumes : Anne-Sophie Grac
Assistante à la mise en scène et communication : Céline Lugué
Création lumières : Camille Mauplot
Régie générale : François Gautier-Lafaye
Création sonore : Clément Roussillat, Benoît Lugué
Construction décor : Ateliers de la MC 93
Avec : Lou de Laâge, Ingrid Estarque, Logann Antuofermo, Raymond Hosny, Tom Pézier, Elie Youssef
Production : Hasard Objectif
Coproduction : MC93- maison de la culture de Seine-Saint-Denis (Bobigny), Théâtre Gymnase-Bernardines (Marseille), MC2 : Maison de la culture – Scène nationale de Grenoble, Le Pont des Arts (Cesson-Sévigné)
Projet bénéficiant du Fonds d’Insertion pour Jeunes Comédiens de l’ESAD– PSPBB.
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national.Cette saison Les Théâtres et la MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis ont souhaité créer un pont entre les deux structures et rassembler les deux territoires, le 13 et le 93. Ensemble, les deux directeurs, Dominique Bluzet, Hortense Archambault et leurs équipes accompagnent quatre créations contemporaines, toutes nées d’artistes engagés, Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner, Bajazet, La Terre se révolte et Vents contraires.
Remerciements à Hortense Archambault, Antoine Abdo-Hanna, Catherine Rétoré, Leyla-Claire Rabih, Myriam Montoya, Filip Trad, Kên Higelin.
Projet bénéficiant du Fonds d’Insertion pour Jeunes Comédiens de l’ESAD-PSPBB
Durée : 1h40
26-28 octobre 2021 au Théâtre des Célestins à Lyon (Festival Sens Interdits)
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