Après Désobéir qui explorait l’émancipation féminine via les récits de jeunes femmes issues de l’immigration, La Tendresse modifie son angle d’approche, mais pas son processus dramaturgique, et se tient, cette fois, du côté de jeunes hommes. Pour mieux comprendre aujourd’hui la fabrication du masculin et l’injonction toujours en vogue à la virilité. Une fois encore, Julie Berès frappe fort et juste.
Avec La Tendresse, Julie Berès et son équipe dramaturgique composée de Kevin Keiss et Lisa Guez, accompagnée par Alice Zeniter à l’écriture, a construit un spectacle explosif et pourtant pétri de nuances. Une pièce uppercut, mais pas monolithique, où la parole se diffracte en de multiples terrains de réflexion dialogiques, où la danse, en l’occurrence le krump et le hip-hop, tient une place phare, vectrice idéale de la phénoménale énergie des interprètes, des clichés liés à la puissance musculaire masculine autant que d’une possible émancipation des modèles dominants. Car il s’agit une fois de plus d’une affaire de libération, de se défaire de ce qui nous enferre pour trouver le chemin de son propre épanouissement dans la forêt obscure de nos contradictions.
Les jeunes au plateau dansent comme s’il y allait de leur vie et leurs battles coups de poing prennent le relais de leurs échanges, comme autant de joutes verbales où le groupe fait exister l’individu par la place que chacun occupe en interaction avec les autres. Excellente idée que d’avoir exploré ce réseau de problématiques identitaires via des corps expressifs en fusion autant que des voix divergentes issues de divers horizons, géographiques et socio-culturels. Né d’un travail de rencontres et d’une collecte de témoignages, le spectacle porte en lui ce rapport franc au réel, au monde qui l’entoure. Jamais le verbe n’est policé ou édulcoré pour correspondre à une certaine idée du théâtre et de sa langue, c’est la vie qui entre en trombe sur le plateau, le percute et nous avec. Les interprètes, tous remarquables, s’adressent au public directement, interpellent et haranguent les spectateurs, les impliquent et les impactent sans détours. Les stéréotypes sont exhibés pour mieux les passer à tabac, les archétypes collent à la peau autant qu’au cerveau, et tous les sujets sont permis, de la sexualité à la paternité en passant par le couple bien sûr, le nerf de la guerre. Se débarrasser de siècles de patriarcat n’est pas une mince affaire, mais chacun y met du sien et s’emploie à recoller les morceaux d’une identité masculine atomisée. En passant par la remise en question et la confrontation des points de vue, c’est la promesse d’une société nouvelle en train d’émerger qui nous est offerte.
On ressort de là plein de confiance en la jeunesse, en nos mutations intimes, en l’avenir tout simplement. Que ce spectacle fait du bien ! Avec son titre qui apaise et semble répondre à notre incommensurable besoin de consolation face au déferlement de violence qui nous est proche, c’est pourtant complètement revigoré, électrisé par l’énergie foudroyante qui se déploie au plateau que l’on ressort. Plein d’espoir aussi, au cœur du tumulte d’une société qui s’emploie à bouger ses lignes, déconstruire ses normes de genre étouffantes, redéfinir les relations hommes-femmes afin que l’on danse dans le tourbillon de la vie sur un pied d’égalité. Même si, on doit l’avouer, hommes et femmes confondus, on ne sait plus trop sur quel pied danser, car exploser les diktats n’est pas sans conséquence et c’est toute la structure sociale de nos rapports qui s’en trouve ébranlée. Le système patriarcal est sens dessus dessous et c’est une excellente nouvelle, à l’échelle individuelle et collective. Mais au milieu de la révolution féministe à l’œuvre en cette ère #MeToo galvanisante, nous traversons une forte zone de turbulence inévitable, un chaos qui met à mal nos assises et nous oblige à nous repenser nous-mêmes autant que l’autre en face. Pas simple, mais tellement indispensable !
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
La Tendresse
Conception et mise en scène Julie Berès
Écriture et dramaturgie Kevin Keiss, Julie Berès, Lisa Guez avec la collaboration d’Alice Zeniter
Avec Bboy Junior, Natan Bouzy, Alexandre Liberati, Djamil Mohamed, Sacha Négrevergne, Romain Scheiner, Mohamed Seddiki, en alternance avec Marin Delavaud du Ballet de l’Opéra national du Rhin, Léopold Faurisson, Bel Abbes Fezazi, Saïd Ghanem, Guillaume Jacquemont, Tigran Mekhitarian, Mathis Roche
Chorégraphie Jessica Noita
Référentes artistiques Alice Gozlan, Béatrice Chéramy et Julie Pilod
Création lumière Kélig Le Bars, assistée par Mathilde Domarle
Création son et musique Colombine Jacquemont
Assistant à la composition Martin Leterme
Scénographie Goury
Création costumes Caroline Tavernier et Marjolaine MansotProduction Compagnie Les Cambrioleurs
Coproductions et soutiens La Grande Halle de La Villette, Paris ; La Comédie de Reims, CDN ; Théâtre Dijon-Bourgogne ; Le Grand T, Nantes ; ThéâtredelaCité – CDN de Toulouse Occitanie ; Scènes du Golfe, Théâtres de Vannes et d’Arradon ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Les Tréteaux de France, Centre Dramatique Itinérant d’Aubervilliers ; Points Communs, Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise / Val d’Oise ; Théâtre Public de Montreuil, CDN ; Théâtre L’Aire Libre, Rennes ; Scène nationale Châteauvallon-Liberté ; Théâtre de Bourg-en-Bresse, Scène conventionnée ; La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc ; Le Canal, Scène conventionnée, Redon ; Le Quartz, Scène nationale de Brest ; Espace 1789, Saint-Ouen ; Le Manège-Maubeuge, Scène nationale ; Le Strapontin, Pont-Scorff ; TRIO…S, Inzinzac-Lochrist ; Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône ; Théâtre de Saint- Quentin-en-Yvelines, Scène nationaleDurée : 1h30
Vu en mars 2022 au Théâtre Gérard-Philipe, CDN de Saint-Denis
Théâtre des Bouffes Parisiens
du 25 avril au 10 mai, puis du 24 mai au 15 juin 2025ThéâtredelaCité, CDN Toulouse Occitanie
du 15 au 21 mai
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