L’histoire de cet enfermement se passe à la fin du 18ème siècle, dans une institution religieuse, mais a pourtant une résonnance bien contemporaine. Car si notre époque a développé ses propres modalités pour circonscrire ses indésirables, la lutte de ceux qui essaient de s’évader garde la virulence du combat de Suzanne Simonin, deux siècles auparavant. Une cellule restera toujours une cellule, quel que soit le système qui l’a générée. Nous en étions là lorsque nous avons monté pour la première fois ce texte au TNB à Rennes. Quelques années plus tard, notre lecture a ouvert un autre axe. Non que nous annulions le postulat de l’enfermement, mais nous y ajoutons une nouvelle hypothèse, à la manière dont un acteur «fixe» certains éléments dans une scène, avant d’y greffer au fur et à mesure d’autres couches.
Ce qui nous a saisis dans cette relecture, c’est un sentiment de “trop“: trop de larmes, de sang, de douleur et d’extase. Au final, trop c’est trop, on ne croit plus à rien et on nage en pleine fiction. Mais cette fiction, d’où vient-elle, sinon de cette jeune religieuse qui écrit ses mémoires, ou mieux encore : sa mémoire. Une mémoire qui décline sa souffrance en utilisant différents protagonistes, mais pour mieux les ramener à elle, comme si elle-même était le point d’origine de tous ces personnages.
Suzanne se présente comme une adolescente qui, avant même que cela lui soit énoncé expressément, vit dans la position d’un tiers exclu au sein de sa famille, et présume qu’il y a à ce traitement une cause secrète. En clair, cela signifie qu’elle a toujours su qu’elle n’était pas la fille de l’homme dont elle porte le nom. La parole de sa mère, muette d’abord avant d’enfin s’exprimer, est comme la hache qui fend le tronc. C’est une parole qui annihile la jeune fille (« Vous n’avez rien, vous n’aurez jamais rien », dit la mère. Ce qui signifie en fait : « Vous n’êtes rien, vous ne serez jamais rien »). Le tronc fendu, conséquence de cette parole, va continuer à se démultiplier. Nous assistons au développement d’une logique schizophrénique, à un être qui en n’étant rien devient tout. C’est ce qui donne cet étrange climat d’irréalité baignant l’ensemble du récit, où la jeune fille, après sa mère, affrontera successivement et sur des modalités différentes, ses trois supérieures –appelées “ma mère“, comme le veut la convention ecclésiastique-, qui nous apparaissent comme autant de déclinaisons de sa génitrice, ou comme autant de fictions. Interlocutrices ou adversaires, toutes ces femmes – qui n’en sont peut-être qu’une – semblent utiliser le corps de Suzanne tel un simple véhicule, pour pouvoir faire entendre leurs voix. Du coup, on ne sait plus qui parle, bien qu’il y ait un seul corps devant nos yeux. Un corps enfermé, à qui l’on refuse une vie propre, et qui réinvente le monde en l’incarnant à lui seul. Un monde de douleur. Note d’intention d’Anne Théron.
La Religieuse
Denis Diderot | Anne Théron
de Denis Diderot
adaptation et mise en scène Anne Théron
avec Marie-Laure Crochant
assistant à la mise en scène Jacques Séchaud
scénographie Barbara Kraft
création sonore José Barinaga
création lumière Benoît Théron
collaboration à la chorégraphie Sun Fang
régie générale, plateau et lumière Alain Larue
régie son Jean-Baptiste Droulers & Tania Volke
production, diffusion Emilie Leloup
production Compagnie Les productions Merlin, Théâtre de la Commune (Centre Dramatique National, Aubervilliers) | avec l’aide à la reprise d’Arcadi et de la région Poitou-Charentes | Anne Théron est associée au TU de Nantes qui soutient en 2012 la reprise de ce spectacle | la Cie Les Productions Merlin est conventionnée par la DRAC Poitou-Charentes | remerciements à Vincent Eches / La Ferme du Buisson
durée 1h20
du 06 au 24 mars 2012
du mardi au samedi à 20h30
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