C’est une histoire de filiation, de transmission, d’émancipation. La Petite Fille qui disait non est une variation féministe du Petit Chaperon rouge dans laquelle on retrouve la patte de Carole Thibaut. Un peu trop appuyé parfois, le propos n’en reste pas moins nécessaire et salutaire.
On ne peut s’empêcher de penser au Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat quand commence La Petite Fille qui disait non, un clin d’oeil peut-être de la part de Carole Thibaut puisqu’il s’agit là d’un spectacle jeune public inspiré du conte en question. Au début était donc la mère. C’est elle qui apparaît en premier, la génération entre, le trait d’union (ou de désunion ici) entre l’enfant et la grand-mère. D’ailleurs, ce sont de grandes lignes qu’elle dessine dans l’espace, des traversées scéniques d’une coulisse à l’autre, les allées et venues incessantes d’une mère essoufflée qui court tout le temps. Une mère comme une autre, la tête pleine, le corps las, épuisée de tout gérer au quotidien mais vaillante. Carole Thibaut en a fait une infirmière, syndiquée qui plus est, et mère célibataire. Une fois de plus, l’engagement féministe de la metteuse en scène et directrice du Théâtre des Îlets- Centre Dramatique National de Montluçon, est palpable, affirmé dès l’écriture. L’enjeu est d’autant plus essentiel que le spectacle s’adresse à la jeunesse, la génération qui vient, les adultes de demain, et qu’il est urgent de leur offrir de nouveaux récits, de nouvelles représentations, d’ouvrir l’horizon et revoir la narration datée des contes de fée, habités de princesses réduites à leur beauté et à l’attente du prince charmant en vue de faire beaucoup d’enfants, condition sine qua non de leur bonheur. Qui est dupe encore ?
Carole Thibaut empoigne plusieurs sujets, elle met les mains dans le cambouis et n’occulte pas le réel quand bien même elle assume la fable : la mère a du mal à joindre les deux bouts, elle est au bout du rouleau et accable sa fille de recommandations afin d’assurer à celle-ci un avenir meilleur. Mais son discours reste assez convenu : bien travailler à l’école pour avoir un bon métier plus tard, devenir une femme indépendante qui gagne sa vie par elle-même. Le propos asséné, à force d’être répété, pèche par excès de lourdeur et vire malheureusement à la sentence. Et pourtant, cette femme qui se débat avec sa responsabilité maternelle et son métier harassant, écartelée entre contraintes professionnelles, tâches ménagères et éducation de son enfant, on la connaît bien, elle ressemble à beaucoup d’entre nous au fond. En face d’elle, une petite fille à lunettes, bien sage, bien obéissante, bien raisonnable. Trop ? Une petite fille parfaite en somme, pur produit du désir des adultes. Cette petite fille a l’habitude d’aller chez sa grand-mère après l’école quand elle n’a pas son cours de judo (non elle ne fait pas de la danse classique) et il flotte dans leurs conversations un air de liberté qui plaît beaucoup à l’enfant. Enfin une adulte avec qui aborder les grands sujets de l’existence, en première ligne : la mort. Car si mamie est fantasque à souhait, parle avec un accent russe artificiel, porte des robes de diva et prend des poses de star malgré son grand âge, si mamie falsifie sa vie pour mieux la supporter, elle n’hésite pas à aborder de front son projet de suicide. Aucun pathos ici, la grand-mère est du côté de la fantaisie chatoyante, de l’imaginaire et du conte et sa mort ouvrira à sa petite fille un chemin de traverse, buissonnier, hors des clous, qui la mènera à trouver sa propre voix/voie.
De sa disparition et de la loyauté de l’enfant à l’égard de leur relation passée, se fera le point de bascule d’une existence répétitive et ennuyeuse, réglée comme du papier à musique. Et le dérèglement advient avec ce premier NON, sonore et long, littéralement hurlé à la face de la mère. Refus d’obtempérer suivi d’une fugue qui débouche sur la rencontre avec un jeune SDF du quartier, loup solitaire dans la forêt de tours qui tapissent la cité. Dans la variation contemporaine de Carole Thibaut, le loup est une créature ambivalente. Jalon de l’émancipation de la jeune fille, il est à la fois menace, ami tombé du ciel, inquiétant et dans le besoin. Cette ambiguïté est intéressante, d’autant plus que le même acteur interprète la grand-mère et le jeune homme mystérieux. Carole Thibaut joue sur les passerelles avec le conte originel et si elle s’en éloigne ouvertement, elle tisse en permanence des liens, crée des échos, un réseau de résonances qui vient redoubler les enjeux à l’œuvre dans l’histoire, à savoir les questions de transmission d’une génération à l’autre, l’héritage maternel, la désobéissance comme vecteur d’indépendance. C’est quand elle ose s’opposer que la petite fille affirme véritablement qui elle est. C’est quand elle quitte le cocon familial pour s’aventurer dans la jungle urbaine qu’elle se confronte au monde. C’est quand elle s’extrait du tête à tête mortifère avec sa mère qu’elle s’expose à la rencontre qui est danger potentiel et gage d’ouverture. Sortir de sa zone de confort pour grandir. Se libérer des injonctions des adultes pour faire sa propre expérience. Quitte à réaliser que l’on est encore un peu jeune pour voyager seul mais le premier pas est fait et c’est le plus important. Il ouvre la voie aux prochains, plus tard, à l’heure de quitter le foyer. Il ouvre la voie à un repositionnement des rapports mère-fille.
Découpé en deux zones, le premier plan du plateau campe l’intérieur du modeste appartement de la mère tandis que l’arrière-plan, visible en transparence derrière un rideau de tulle qui le théâtralise, laisse entrevoir le salon chaleureux de la grand-mère, son large abat-jour et ses deux fauteuils accueillants. Quand la scène devient le monde extérieur, un système de parois verticales mobiles et des jeux d’ombre dessinent un écrin urbain aux allures de sous-bois obscur entremêlant pertinemment les références visuelles. A cheval entre la poésie de la fable et un ancrage fortement réaliste, La Petite Fille qui disait non offre un double espace de projection et d’identification à la jeunesse : miroir naturaliste d’une situation concrète de famille monoparentale et de précarité sociale et échappée imaginaire vers une fugue en solitaire. Le bras de fer avec la mère, la robe léguée par la grand-mère, symbole d’une féminité qui s’assume dans une forme d’outrance, les pères absents, l’homme potentiellement prédateur, la fille potentiellement victime, Carole Thibaut brasse les motifs du conte pour mieux les entrechoquer avec l’époque, elle dit aussi l’ambiguïté des mères qui à force de protéger empêchent de grandir, leur difficulté à voir leurs filles devenir des femmes dans un monde certes en plein changement mais pas encore totalement débarrassé de la peur. Le résultat est sacrément intéressant, riche de détails signifiants, certaines scènes font mouche, touchent, voire dérangent intelligemment, mais l’ensemble peine à décoller totalement et si les ambivalences en jeu apportent de la complexité à la pièce, celle-ci aurait gagné à plus de nuance dans certains dialogues.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
La Petite Fille qui disait non
Écriture et mise en scène Carole Thibaut
Avec Yann Mercier, Lisa Torres en alternance avec Marie Rousselle-Olivier et Hélène Seretti
Avec la participation à l’image de Valérie Schwarcz et Lou Ferrer-Thibaut
Assistanat à la mise en scène Vanessa Amaral, Malvina Morisseau et Fanny Zeller (en alternance)
Scénographie Camille Allain-Dulondel
Création lumières Yoann Tivoli
Création sonore et musicale Margaux Robin
Création vidéo Vincent Boujon
Costumes Elisabeth Dordevic
Régie générale Pascal Gelmi et Jean-Jacques Mielczarek
Construction Nicolas Nore, Jérôme Sautereau et Séverine Yvernault
Régie son Pascal Gelmi, en alternance avec Margaux Robin
Régie lumières Thierry Pilleul en alternance avec Guilhèm Barral
Photos Thierry Laporte
Production Théâtre des îlets – centre dramatique national de Montluçon – région Auvergne-Rhône-Alpes
Coproduction Théâtre d’Ivry-Antoine-VitezLe texte est publié à l’École des Loisirs
Durée : 1h10
A partir de 8 ans
Du 8 au 14 mars 2023
Au Théâtre Public de Montreuil
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