Deuxième opus du feuilleton théâtral initié par le spectacle Pangolarium présenté la saison dernière au Théâtre Paris Villette, La loi de Murphy tient les promesses du précédent, l’éclaire tout en démultipliant les questions soulevées au fur et à mesure d’une intrigue qui déploie ses zones d’ombre et mystères non résolus. Une aventure en forme de puzzle imaginée par Nicolas Liautard et Magalie Nadaud qui force à la patience par son sens du suspense rondement mené.
Il y a un an pile poil on découvrait avec intérêt et enthousiasme le premier épisode de cette fiction à ramifications, imaginée et conçue à quatre mains par Nicolas Liautard et Magalie Nadaud sur le modèle des séries télévisées. Un premier opus envoûtant au titre aussi énigmatique que l’intrigue qu’il abritait, Pangolarium, qui nous laissait à la fin sur notre faim, principe sériel oblige, tout en nous gorgeant d’indices et de pistes narratives fascinantes, aux résonances troublantes avec l’époque et la crise sanitaire dont nous sortions à peine. La Loi de Murphy, deuxième partie de ce projet au long cours dont le format, il faut bien l’avouer, s’avère totalement inédit dans le secteur du jeune public, s’il peut se voir en toute indépendance, s’inscrit néanmoins dans une démarche plurielle dont il est difficile de faire l’impasse tant les échos avec le spectacle précédent lui confèrent en quelque sorte un supplément d’âme, une excroissance qui vient enrichir son maillage fictionnel et la perception que nous en avons. *
Là où Pangolarium était une entrée en matière et avait le privilège de la nouveauté et de la découverte, La Loi de Murphy joue sur des réminiscences avec l’ancienne pièce, l’invite même par intermittence au gré d’un dialogue, d’un décor, d’un film aussi flou qu’un souvenir ou qu’un rêve et si paradoxalement cette deuxième partie se situe en amont chronologiquement de la première, elle en complète les trous tout en multipliant au fur et à mesure les questions sans réponses et les noeuds non résolus. A l’œuvre depuis le premier épisode, ce mélange troublant de réalisme et de fantastique, ce vertige entre la réalité tangible et des visions oniriques perturbantes, cette façon de balancer sans cesse entre sujets philosophiques et enjeux éthiques, cette propension à semer des indices autant que des doutes, à glisser dans le scénario des étrangetés, des brèches dans le réel qui viennent faire pencher le sol solide et le cours huilé des jours vers le genre de la science-fiction, tout concourt encore et toujours à créer une atmosphère mystérieuse, presque inquiétante.
Treize ans avant la fiction amorcée avec Pangolarium qui nous faisait faire la connaissance d’une adolescente singulièrement vive d’esprit, dotée d’une particularité physique pour le moins bizarre, son bras gauche entièrement recouvert d’écailles comme une carapace animale, La Loi de Murphy nous plonge aux côtés d’un couple heureux. Il est chercheur en génétique, elle est écrivain et annonce à son compagnon qu’elle attend un enfant. A partir de ce tableau idéalisé du bonheur conjugal, la suite va s’acharner à venir l’entraver, à commencer par la première échographie, révélant une anomalie du fœtus qui nous laisse présager les conséquences puisque ceux qui auront vu la première partie auront une longueur d’avance. Ce qui est passionnant avec ce dispositif, outre les sujets brûlants d’actualité qui sont abordés au fil des scènes, c’est la façon dont est mobilisée l’attention du spectateur.
Conscient que le spectacle s’inscrit dans un ensemble qui le dépasse et le complète, le public est amené à une concentration aiguisée, attentif aux moindres détails, actif dans la reconstitution mentale qu’il opère et sa propre mise en jeu entre en interaction avec les problématiques soulevées par la pièce. Et elles sont nombreuses. Entre l’appartement du couple, lieu de l’intime, la salle de réunion de l’agence médicale où travaille le mari, le scénario qu’est en train d’écrire sa femme et qu’elle dévoile à sa soeur autour d’un dîner au restaurant, ses visions nocturnes étranges qui semblent anticiper l’avenir, le cabinet de la psy où s’expriment sans fard les angoisses des personnages, les références oscillent entre philosophie (Nietzche et le concept de l’éternel retour), cosmologie (la théorie des multivers) et sciences (mutations génétiques et industrie pharmaceutique) et l’approche du réel semble écartelée entre la pensée scientifique et rationaliste de l’homme et la conscience philosophique de sa femme dont l’activité professionnelle qui tend à inventer des histoires entre en collision avec une psychée malmenée par des cauchemars récurrents et persistants. Le réel est abordé ici comme la fiction que nous nous en faisons, sa représentation intimement liée à nos croyances.
Ce jeu troublant de nos perceptions qui fait éclater l’idée même d’une vérité unique s’incarne dans une esthétique cinématographique et frontale qui alterne scènes au plateau et film à l’écran (scénographie et réalisation remarquables signées Damien Caille-Perret et Christophe Battarel). En effet, toutes les scènes se déroulent derrière un voile transparent qui sert de surface de projection aux vidéos tout en nimbant les situations jouées en direct d’un grain passé, d’un flou flottant. Ici le quatrième mur n’est pas brisé, loin de là, il est d’une étanchéité radicale, facilitant l’adhésion à la fiction et l’immersion dans ses arcanes tandis que les interprètes qui nous conduisent et nous perdent dans ce jeu de pistes aussi passionnant intellectuellement qu’addictif narrativement, se glissent dans leurs personnages avec souplesse, tous convaincants quel que soit leur rôle. Dans la lignée de Pangolarium, ce spectacle déroule sa mécanique fictionnelle imparable et vertigineuse et sa scène finale, puissante dans son épure même, ouvre au précédent opus qui en est sa suite chronologique en une boucle qui se mord la queue. L’éternel retour en acte, magistralement. Dire qu’il va falloir attendre la suite !
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
La loi de Murphy
Texte, mise en scène Nicolas Liautard et Magalie Nadaud
Avec Sarah Brannens, Jean-Charles Delaume, Jade Fortineau, Nicolas Liautard, Fabrice Pierre, Célia Rosich et la participation à l’image d’Emilien Diard-Detoeuf, Nicolas Roncerel, Nova Pierre et Sasha Molitor Rosich
Scénographie, création numérique, réalisation du cœlacanthe Damien Caille-Perret
Musique Thomas Watteau
Lumières Morgane Viroli
Costumes Sara Bartesaghi Gallo et Simona Grassano
Prothèse Anne Leray
Réalisation, montage Christophe Battarel
Réalisation du décor Les Ateliers Jipanco et Cie
Régie générale et plateau Emeric Teste
Régie lumière, régie vidéo Morgane Viroli
Plateau Julie Znoskoproduction : Robert de profil / coproductions : Théâtre-Sénart, Festival d’Automne à Paris, Théâtre Paris-Villette / Robert de profil est conventionné par le ministère de la culture et de la communication – drac Ile-de-France et le conseil départemental du Val de Marne / soutien : Ville de Fontenay-sous-Bois / Fontenay en scènes.
A partir de 8 ans
Durée : 1h15
Du 14 avril au 7 mai 2023
Au Théâtre Paris Villette
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