Réalisée par les membres du Jeune Théâtre en Région Centre (JTRC), la programmation de la 7ème édition du festival de création émergente WET° à Tours (organisé par le Théâtre Olympia – CDN de Tours) a donné à découvrir des artistes traversés par un fort désir d’émancipation des esthétiques dominantes actuelles pour en inventer de nouvelles. Ce qui va de pair avec une remise en question des rapports de pouvoir existants. Un mouvement prometteur, malgré des résultats contrastés.
En sept ans, le festival WET° a su s’imposer comme un lieu majeur pour la jeune création. Bien des artistes passés par là il y a quelques années font désormais partie du paysage théâtral. Le collectif OS’O, par exemple, y était programmé en 2016, année de création de la manifestation par Jacques Vincey, directeur du Théâtre Olympia – CDN de Tours (T°). Ont suivi des artistes comme Marion Siéffert, Hugues Duchêne, Julie Delille, Camille Dagen, Eddy d’Aranjo dont plusieurs étaient invités aux Rencontres de la jeune création organisées cette année en préambule du WET° afin, lit-on dans le dossier du festival, de « porter un regard rétrospectif, sensible et critique sur ce qui s’est joué ces dix dernières années dans le champ de l’émergence et nourrir des désirs pour la décennie à venir ».
Les structures en question
Le WET°, encadré cette année pour la dernière fois par Jacques Vincey – son mandat de direction s’achève à la fin de la saison – et son équipe, n’a pas attendu d’arriver à l’âge de sept ans, déjà respectable pour un festival, pour regarder en face la jeune création, pour en interroger les pratiques et s’interroger sur lui-même. Le questionnement du modèle institutionnel, dont la hiérarchie très marquée fait du directeur l’unique ou presque responsable du geste de programmation, est dans ce festival chose naturelle. En confiant les rennes de son lieu aux huit membres du Jeune Théâtre en Région Centre (JTRC) – cinq comédien·nes, deux technicien·nes et une chargée de production –, l’équipe du T° fait en période de WET° l’expérience d’un fonctionnement tout autre, plus horizontal. Chaque édition interroge ainsi le milieu théâtral tel qu’il fonctionne, et démontre la possibilité de faire autrement. Cette année, plusieurs des spectacles choisis ont très clairement reflété cette remise en question des structures existantes, théâtrales et autres.
Avec Sous l’orme de Charly Breton, que nous avons pour notre part découvert au Théâtre des Quartiers d’Ivry à sa création, le festival s’ouvrait sur un refus absolu du monde tel qu’il va aujourd’hui. Interprété par Guillaume Costanza, ce seul en scène donne voix à l’imaginaire torturé d’un jeune homme qui s’apprête à commettre une action violente au nom d’un Ogre niché dans son esprit. À rebours de toute forme de naturalisme, ce monologue crépusculaire abordant les phénomènes de radicalisation plaçait le WET° 7 sous le double signe de la recherche formelle et de l’ancrage au présent. Deux aspirations peu aisées à concilier, ce qui rend les tentatives toutes intéressantes et riches dans le cadre d’une réflexion sur la nature et les enjeux actuels de la création théâtrale.
Adieux à la fiction
Les quatre autres propositions que nous avons pu voir au WET° unissent de manières très différentes désir de révolution esthétique et traitement, toujours critique, du présent. Toutes entretiennent toutefois un rapport problématique avec la notion de fiction. Même Poil de Carotte, Poil de Carotte de Flavien Bellec et Étienne Blanc, dont le titre laisse présager une histoire au sens classique, met à mal ce type de récit. Du célèbre roman de Jules Renard, il ne reste en effet que quelques traces ici, à partir desquelles les deux concepteurs du spectacle construisent un dialogue dont l’unique sujet est… le théâtre. Interprétée par Flavien Bellec et Solal Forte, cette conversation brouille d’emblée les frontières entre réel et fiction : les deux comédiens se présentent sous leurs vrais prénoms, et commencent à dérouler leurs parcours artistiques respectifs. C’est ainsi sur un mode proche de la performance que s’opposent deux pratiques opposées du théâtre : l’une très cadrée par l’institution, qui la légitime, l’autre indépendante, empruntant des chemins non balisés.
Des neuf pièces de ce WET°7, Poil de Carotte, Poil de Carotte est celle qui aborde de la manière la plus frontale la question de l’institution théâtrale. Sa place au festival est donc parfaitement compréhensible, d’autant plus que l’exercice est subtilement mené par les acteurs, qui prennent le temps nécessaire pour rendre sensibles tous les mécanismes de l’humiliation. On peut toutefois se demander si ce tête-à-tête est en mesure de s’adresser à un public étranger au milieu théâtral dont il détaille les problématiques. La violence qui se dit ici peut-elle en évoquer d’autres ? Il faudrait sans doute la confronter à d’autres contextes pour le vérifier, et l’ouvrir davantage à cette possibilité. Il est toutefois évident qu’il y a là en germe un geste singulier, où une écriture très précise, tendue, va de pair avec la recherche d’une forme susceptible d’agir fortement sur le spectateur.
Des mères et des sirènes
Amer Amer de Jérôme Michez et Elsa Rauchs va plus loin encore que Poil de Carotte, Poil de Carotte en matière de mélange entre théâtre et performance. La question de la relation au public est au cœur de la proposition du jeune duo belge, qui a déjà créé auparavant deux spectacles : à chaque représentation, l’un des deux rôles de la pièce est confié à un spectateur. Les règles sont exposées au moyen d’un texte projeté sur le mur tandis que Jérôme Michez – en alternance avec Tom Geels – arpente le plateau : Amer Amer commencera lorsqu’une personne du public voudra bien le rejoindre pour jouer le rôle de la mère du protagoniste, en suivant seulement quelques consignes. Le jour de notre venue pourtant, ce dispositif était incompréhensible : connaissant visiblement le spectacle, et répétant absolument toutes les phrases et gestes de l’artiste, le volontaire avait des airs de complice si évidents que la part de hasard essentielle à la proposition était nulle. L’au revoir fils-mère raconté ici avait alors bien peu d’existence, d’intensité théâtrale alors qu’avec leur création, Jérôme Michez et Elsa Rauchs voulaient justement exprimer l’urgence de sortir de l’inertie, d’entrer dans l’action.
Comme ces deux artistes ainsi que Flavien Bellec et Étienne Blanc, le trio créateur de Sirènes – Hélène Bertrand, Margaux Desailly et Blanche Ripoche – fait du théâtre hors de la hiérarchie habituelle, encore largement dominée par le metteur en scène. Sirènes fait d’abord miroiter un riche horizon, à la croisée des arts plastiques, du théâtre et de la performance. Le but des artistes, qu’elles expriment dès un premier tableau très réussi de transformation en femmes-poissons : explorer un mythe pour le déconstruire. Composé d’une succession d’images en mouvement, parfois accompagnées de quelques rares paroles, l’espèce de vivarium qu’elles déploient ensuite perd hélas assez vite de sa puissance. L’envie d’en découdre avec les fictions dominantes a tendance à limiter l’imaginaire des artistes, qui pour démonter des clichés choisissent souvent de les représenter d’une manière plus ou moins bien détournée. On rencontre par exemple une créature lascive face à un équipage de marins, des femmes s’échangeant des futilités en s’étalant sur la figure des crèmes multicolores… Cela au détriment de l’invention d’une féminité théâtrale vraiment originale, libérée des chaînes dénoncées.
Le parti-pris de la diversité
Le cas de Dernier amour de Hugues Jourdain n’est pas sans points communs avec celui de Sirènes. Trois personnes trop malheureuses en amour pour continuer de vivre sur Terre y décident de la quitter ensemble et d’aller vivre dans l’espace. Mais avant le grand départ, elles réalisent un dernier spectacle en forme d’au revoir à l’Humanité. Autant que les rapports amoureux, le théâtre est donc l’objet ici d’une réflexion assez désabusée. Très fragmentaire, composée de scènes détournant des numéros ou types de spectacles bien connus – nous avons par exemple un one-woman show inversé –, la pièce prétend liquider un régime théâtral sans proposer à la place un langage qui n’appartiendrait qu’à elle. Ou qui du moins prendrait la voie de l’indépendance.
Pour répondre à leur désir d’émancipation des formes et des hiérarchies existantes, les artistes programmés cette année au WET° prennent des chemins très divers. Voulu par les membres du JTRC, cet éclectisme témoigne d’un fort désir au sein de la jeune création d’explorer autant de voies que possible hors des cadres dont elle a hérité. En se focalisant sur des démarches originales, du moins par rapport à un théâtre centré sur le texte, les programmateurs de cette édition ont pu mettre quelque peu de côté la qualité. Même avec ces fragilités toutefois, ce WET° fut riche en réflexion. Nous sommes là dans un précieux espace du galop d’essai qu’il faut vivre et juger comme tel, avec l’assurance que dans ses déceptions autant que dans ses révélations, ce festival aide à penser la création d’aujourd’hui et de demain.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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