Au Théâtre de la Bastille, Simon Gauchet monte une expédition théâtrale et plastique où la recherche de l’Atlantide se mêle aux voyages intérieurs, sans parvenir à totalement concrétiser son ambition onirique.
Portés par l’écume qui, au sol, dessinent les contours des flots, ils sont cinq à être étendus là, corps rendus immobiles par un sommeil profond, bercé et nourri par la voix de celles et de ceux qui leur racontent leurs rêves. Déposés sur un répondeur que l’équipe de La Grande Marée a, dans un élan magnifique, mis à la disposition de tout un chacun – au 07 81 10 97 12 –, ces récits s’imposent, tout à la fois, comme le berceau singulier et la rampe de lancement d’un spectacle qui, on le pressent d’emblée, ne ressemblera à aucun autre. Plutôt que de choisir entre le réel et la fiction, entre le vécu et l’imaginaire, le metteur en scène Simon Gauchet a préféré se placer au coeur de cette zone peu explorée, et forcément grise, où les deux s’interpénètrent, dans cet espace où les formes sont aussi floues que les ambitions peuvent s’avérer nombreuses. « Essaye de te souvenir ou à défaut invente », ne tardent pas à inscrire les comédiens en fond de scène, à l’aide d’une éponge ruisselante. Dans la foulée, eux-mêmes ne se font d’ailleurs pas prier pour suivre ce mantra et se mettent à raconter leurs rêves de la nuit précédente, à condition, et la chose n’est pas toujours aisée, qu’ils réussissent à s’en souvenir.
Ces réminiscences, que l’on suppose différentes à chaque représentation, procèdent, en réalité, d’un rêve originel, d’une ambition un peu folle dont, comme le raconte au plateau le comédien Rémi Fortin, Simon Gauchet a fait la découverte à la lecture d’un vieil article de journal. À la fin des années 1980, l’ancienne critique dramatique du Monde, Brigitte Salino, alors journaliste à L’Événement du jeudi, part à la rencontre d’un anthropologue allemand, Dietmar Kamper, qui, en compagnie d’autres chercheurs, projette de monter une expédition pour retrouver l’Atlantide, cette île légendaire, et idyllique, dont Platon décrit l’emplacement – « au-delà des Colonnes d’Héraclès » –, le fonctionnement, puis l’engloutissement dans le Timée et le Critias. De cette entrevue, elle ramène un reportage qui analyse les préparatifs d’une aventure qui, finalement, n’aura jamais lieu, mais qui, dans son caractère démesuré, comme dans l’échec qu’elle entraîne, donne à Simon Gauchet l’envie de monter ses propres expéditions. Sur scène, les membres de l’équipage qu’il a embarqués avec lui se mettent alors à reconstituer, puis à inventer, l’élaboration du projet des intellectuels allemands, mais aussi à relater leurs explorations personnelles des grottes marines du Cap Fréhel, de la plaine de la Crau ou encore des profondeurs au large de l’île de Santorin.
Loin de se cantonner à des récits d’aventuriers, ces périples forment autant de creusets pour donner naissance à des voyages intérieurs qui, pour ne citer que les plus convaincants, rappellent les Hommes à leur état d’êtres aquatiques nostalgiques de leur habitat primaire – comme l’explique Sándor Ferenczi dans son essai Thalassa : Psychanalyse des origines de la vie sexuelle – ou réinventent le destin et le processus créatif de cette femme qui, dans les années 1930, a peint cette gigantesque toile ornant l’un des actes de Mireille, donné à l’Opéra de Rennes. D’une sensibilité et d’une délicatesse rares, dans leur ambition comme dans leur exécution, ces pérégrinations se montrent capables d’ouvrir des perspectives poétiques et intellectuelles, jusqu’à faire de l’imaginaire la porte d’entrée pour transcender le réel, pour, dans une toute-puissance quasi enfantine qui, du Projet apocalyptique à L’Expérience de l’arbre, a toujours intrigué Simon Gauchet, rendre le monde plus profond, malléable et beau qu’il ne l’est. Surtout, elles sont portées par un travail scénographique dont l’artisanat renforce encore le lyrisme. Maniées par les comédiens à l’aide d’un système de poulies latérales, les toiles peintes récoltées pour l’occasion forment, tour à tour, les parois d’une grotte préhistorique ou des paysages maritimes qui, éclairés par les subtiles lumières de Claire Gondrexon, habitent le plateau de la plus onirique des manières.
On ne peut alors que regretter que Simon Gauchet n’ait pas trouvé la forme dramaturgique tout à fait adéquate pour mener ce travail exploratoire. Bâti à partir d’un texte de Martin Mongin, mais aussi grâce au concours de chaque comédien, le spectacle conserve les stigmates de cette construction collective, dont il est possible de voir les jointures, les coutures et même les leviers, tant il paraît soucieux de donner à chaque acteur son petit moment sous les projecteurs. À l’avenant, si le style d’adresse directe au public, porté avec doigté par les comédiens, Cléa Laizé et Rémi Fortin en tête, permet d’instaurer une certaine proximité, le côté making-off qui, à intervalles réguliers, revient sur le processus de création et de construction de la pièce, contribue à mettre l’onirisme à distance. Dès lors, à force de l’ancrer dans le réel, il ne lui permet pas de totalement se déployer, de prendre toute l’envergure qu’il mériterait, d’envelopper les spectateurs dans un environnement qui relèverait intégralement et puissamment du songe. Comme si l’échec de l’expédition des intellectuels allemands qui leur a servi de point de départ les empêchait, à leur tour, et malheureusement, de conduire la leur jusqu’au bout.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Grande Marée
Conception et mise en scène Simon Gauchet
Écriture et dramaturgie collective à partir du texte de Martin Mongin
Avec Gaël Baron, Yann Boudaud, Rémi Fortin, Cléa Laizé, Ludovic Perché
Collaboration artistique Éric Didry
Assistante à la mise en scène Nathanaëlle Le Pors
Conseil scientifique Constantin Rauer
Scénographie Olivier Brichet, Simon Gauchet
Musique Joaquim Pavy
Construction Olivier Brichet, Clémence Mahé
Costumes et textile Léa Gadbois Lamer, assistée de Lara Manipoud, Sandra Meiner, Marine Baney
Son Manuel Coursin
Régie son Manuel Cousin en alternance avec Marie Iger
Lumière Claire Gondrexon
Régie lumière Claire Gondrexon en alternance avec Paul Robin
Régie générale et régie plateau Ludovic Perché en alternance avec Lucile Réguerre
Accompagnement et conseil Frédérique Payn
Production Grégoire Le Divelec, Anaïs Fégar – HECTORES
Diffusion Céline AguillonProduction L’École Parallèle Imaginaire
Coproduction Le Théâtre de Lorient – Centre dramatique national, le Canal – Théâtre de Redon, la Comédie de Caen – Centre dramatique national de Normandie, la Passerelle – Scène nationale de Saint-Brieuc, le Théâtre de la Bastille, le Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique, la saison culturelle de Dinan Agglomération, la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel – Normandie et les Théâtres de Saint-Malo
Ce projet a reçu l’aide au compagnonnage auteur du ministère de la Culture.
L’École Parallèle Imaginaire est conventionnée par la DRAC Bretagne et soutenue par la Région Bretagne et la ville de Rennes.
Avec le soutien du fonds d’insertion de l’École du TNB et de Malraux, scène nationale Chambéry Savoie et de l’Onda – Office national de diffusion artistique.Durée : 2h
Théâtre de la Bastille, Paris
du 9 au 24 novembre 2023TU Nantes, en co-réalisation avec le Grand T
du 28 novembre au 1er décembreLa Passerelle – Scène nationale de St Brieuc
les 13 et 14 décembre 2023Saison culturelle du Mont St Michel
le 16 mai 2024Le Tangram – Scène nationale d’Evreux-Louviers
le 18 mai
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