Pour sa première création, la comédienne se livre dans un seule-en-scène et questionne les stéréotypes auxquels elle est confrontée dans son métier d’actrice en tant que femme noire et grosse.
Au plateau, trois silhouettes étrangement identiques. Sabine Pakora est accompagnée sur la scène du théâtre de la Reine Blanche par deux statues de cire, présences étranges, inquiétantes de réalisme. Fabriquées à partir des moulages de l’actrice par le sculpteur Daniel Cendron, elles ont ses traits, son expression, ses cheveux. À cour, la statue symbolise la figure de la « mama africaine” : ceinte d’un large boubou bigarré et affublée d’une poussette. À jardin, en porte-jarretelle et corset de dentelle, la deuxième représente la figure de la prostituée. Deux stéréotypes dans lesquels la comédienne se sent enfermée : assignée aux figures maternelles et passives ou bien sexualisée à outrance. Personnages sans capital intellectuel et qui ne portent pas de rôles majeurs dans les fictions. Des protagonistes auxquels aucun spectateur ou aucune spectatrice ne veut s’identifier. C’est l’héritage d’un passé colonial, selon la comédienne, qui laisse aujourd’hui s’échouer ces figures fétichisées et minorées.
Dans sa première mise en scène, Sabine Pakora nous embarque avec tendresse et douceur dans le récit de sa construction de comédienne noire et grosse. Et elle sait de quoi elle parle. Après un parcours universitaire en anthropologie et en sociologie, elle témoignait déjà en 2018 du racisme subi en tant que comédienne noire au côté de 15 autres collègues, dans l’ouvrage Noire n’est pas mon métier, publié aux éditions du Seuil sous la direction d’Aïssa Maïga.
Déjà enfant, scotchée devant la télé, elle scrutait le moment où un personnage lui ressemblant allait enfin apparaître à l’écran. Elle évoque les petits boulots précaires en tant que jeune comédienne pour subsister : aucun déguisement n’était à sa taille lorsqu’il fallait animer un goûter d’anniversaire. “J’étais l’animatrice la plus grosse du monde” assure Sabine Pakora dans un éclat de rire. Lors de ses premiers cours de théâtre, le rôle de Phèdre ne lui était jamais attribué. Celui des servantes, souvent. Au cinéma, on lui fera remarquer que ses cheveux ne rentreront jamais dans le cadre, ou que sa corpulence masquera la présence des acteurs à l’image.
Pour se réconcilier avec le monde du cinéma et du théâtre, la comédienne veut “exorciser les regards qui [l]’assignent et qui [l]’empêchent de voir la multitude de facettes qui [la] constituent” explique-t-elle sur scène. Sabine Pakora se grime donc, endosse tour à tour le rôle de ces figures d’autorité, avec malice et raillerie. Mais sans jamais de colère, ni de rancœur.
En toile de fond, la pièce se demande donc comment construire de nouveaux imaginaires et de nouvelles représentations, notamment à travers la fiction ? La réponse par l’auto-fiction n’est certes pas nouvelle, le récit et les exemples malheureusement souvent entendus. C’est d’ailleurs dans la deuxième partie de la pièce que Sabine Pakora est particulièrement convaincante, lorsqu’elle s’anime et invoque ces figures d’oppression qui la hantent. Pour autant la pièce a le mérite de porter un discours qui est nécessaire de rappeler. Et ce, autant de fois que nécessaire.
La Freak, journal d’une femme vaudou.
Texte, interprétation, conception, mise en scène : Sabine Pakora
Collaboration artistique : Léonce Henri Nlend
Assistante à la mise en scène : Morgane Janoir
Lumières : Matthieu Marques Duarte
Moulages : Daniel Cendron
Costumes : Laurence Benoit
Chorégraphie : Asha Thomas
Regard extérieur : Paul Desveaux21 et 22 mars 2023
Musée national de l’histoire de l’immigration – Palais de la Porte Dorée, Paris 12e
du 7 au 29 juillet – Avignon Off 2023, Chapelle du Verbe Incarné
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