Dans La France, Empire, Nicolas Lambert fait appel à son passé familial pour parcourir l’histoire coloniale française et dénoncer ses persistances dans le monde actuel. Plutôt que d’approfondir l’enquête historique, le recours à l’intime et à l’imitation en pointent les faiblesses et les généralités.
Il n’est guère rare depuis quelques années de voir associés dans des spectacles, souvent des seuls en scène, autobiographie ou autofiction et exploration de l’histoire coloniale. Les artistes pratiquant cet exercice sont pour beaucoup issus de l’immigration ; la scène est alors pour eux l’espace de l’expression d’une identité qui selon les termes d’Amin Maalouf dans Les Identités meurtrières (1998) « ne se compartimente pas, ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées ». Encore décrite dans cet essai majeur comme étant « faites de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un ‘’dosage’’ particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre », ces personnalités complexes exhument en général dans leur pièce la page d’Histoire qui les concerne de près. Dans Final Cut par exemple, c’est le protectorat français en Tunisie que Myriam Saduis aborde en nous livrant son enquête sur l’histoire de ses parents. Avec Koulounisation, Salim Djaferi se fraie un chemin dans le passé franco-algérien en déployant les fruits d’une recherche très personnelle sur les mots de la colonisation. On peut encore évoquer Yasmine Yahiatène qui dans La Fracture, présenté dans le cadre du dernier festival Impatience, convoque dans une forme de rituel archives personnelles et collectives mettant en évidence ce qui chez son père et chez elle est hérité de la colonisation française de l’Algérie.
Si Nicolas Lambert vient lui aussi au passé colonial par la petite histoire dans La France, Empire, c’est pour développer un autre point de vue que les artistes évoqués plus tôt : non plus celui du descendant de colonisés, mais de l’enfant du pays colonisateur. Cette originalité toute relative est hélas la seule que peut revendiquer l’artiste. Ce qu’il ne fait pas, déroulant au contraire son exposé à la manière d’un pionnier sur les terres de la déconstruction du récit national français. Alors que dans les spectacles cités plus tôt, la quête intime permet d’échapper aux clichés et aux généralités – ce qui bien sûr est loin d’être le cas de toutes les créations du même type, nombreuses à ne pas aller au-delà d’une déclaration d’intention militante anti-raciste et anti-colonialiste –, elle constitue chez Nicolas Lambert la porte d’entrée vers ces ennemis de la pensée. Le prétexte que prend l’artiste pour entamer sa double plongée dans sa mémoire familiale et dans l’Histoire française annonce sa dimension didactique. Il s’agit d’un sujet de brevet que lui ramène un soir sa fille, intitulé : « montrer en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union européenne ». Deux heures durant, le père planche sur la copie de la collégienne, tel un élève dépassé par ses découvertes.
La posture naïve, presque candide qu’adopte le comédien au seuil de son investigation manque de la crédibilité et de la force nécessaire pour relier singulièrement les divers éléments qui composent La France, Empire. En rejouant sans cesse sa surprise d’enfant face à la stèle du cimetière de Saint-Quentin en Picardie consacrée aux morts en Indochine et en Afrique du Nord, Nicolas Lambert va à une facilité qu’on ne lui connaissait guère. Dans sa trilogie Bleu-blanc-rouge : l’A-démocratie que l’on a notamment pu voir en 2016 au Théâtre de Belleville où se joue aujourd’hui La France, Empire, il faisait preuve d’une parfaite neutralité dans sa façon de partager différents documents bruts – discours de politiques, extraits de procès-verbaux d’auditions, conférences de presse… – concernant trois piliers de la vie politique française : le pétrole, le nucléaire et l’armement. Si le dessein critique de Nicolas Lambert ne faisait aucun doute, en se plaçant en retrait de sa propre investigation il laissait au spectateur le soin de tirer des conclusions. S’il choisit ici de donner avec ses documents le sens de lecture à adopter, c’est probablement en partie du fait du manque d’angle de la pièce. Dans l’Empire français en effet, Nicolas Lambert ne choisit pas : en plus de l’Indochine et de l’Afrique du Nord il aborde le Cameroun, Madagascar, la Syrie… Ou plutôt il les survole de son regard de faux enfant, donnant au public ainsi présumé tout aussi ignorant que lui des leçons tout en dénonçant celles que l’État français n’a jamais cessé de délivrer à l’Autre, au motif d’une soi-disant supériorité démocratique.
Lorsqu’il va fouiller dans l’histoire de ses ancêtres picards, Nicolas Lambert tombe pourtant parfois sur des choses très dignes d’intérêt. Les deux couples de grands-parents séparés par un terrain vague miné chez qui il allait enfant, les traces de guerre qu’il trouvait dans le grenier parmi les bandes dessinées ou encore les bribes de vie sous occupation arrachées à des mémoires récalcitrantes de ces proches auraient mérité d’être largement développées. Ainsi les discours de Mitterrand, de De Gaule, les interventions du héros de son enfance « Maître Capello » de l’émission Les Jeux de 20 heures et de bien d’autres célébrités politiques et médiatiques parfaitement imitées auraient sans doute pris une autre dimension. La rencontre de l’intime et du politique aurait probablement produit davantage de frottements, de liens inattendus qu’il n’y en a dans France, Empire. Faute de reliefs ou d’un vrai parti-pris de narration, le seul en scène écrase son spectateur, selon la fameuse formule d’Annie Le Brun sous, un « trop de réalité ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
La France, Empire
Texte, documentation, reportages, mise en scène & interprétation Nicolas Lambert
Collaboration artistique Sylvie Gravagna
Création lumière Erwan Temple
Photo Cyrille Choupas
Diffusion Anne Sophie Lombard / FAB – Fabriqué à Belleville
Production Théâtre de Belleville & Un pas de côté
Soutiens DRAC Ile de France, Théâtre de l’Arlequin – Morsang-sur-Orge, Polynotes – l’école de musiquesUn spectacle du Théâtre des Opérations (Cie Un Pas de Côté). L’écriture de la série Le Théâtre des Opérations a bénéficié du soutien du Centre national des écritures du spectacle de Villeneuve lez Avignons, de la Fondation Un monde Pour Tous et de la DRAC Ile-de-France au titre de l’aide aux compagnies dramatiques conventionnées.
Documentation, écriture : Nicolas Lambert, Erwan Temple, Saphia Arezki, (accompagné selon les séquences par Grégory Bron, David Servenay, Benoît Collombat)Durée : 2h
Théâtre de Belleville – Paris
Du 7 septembre au 28 octobre 2024
Lundi à 21h15, samedi à 15h30, dimanche à 17h
Relâche le 5 octobre
Bonjour,
Serait-il possible de savoir si Nicolas Lambert a prévu de faire une tournée qui passerait par Lyon ou les environs ?
Merci
Bonjour, pour le moment, à part le Off d’Avignon, nous n’avons pas d’information sur une tournée la saison prochaine.
Merci pour votre message.