Le Ballet de l’Opéra de Lyon révèle l’écriture désarticulée et fascinante de Marcos Morau dans une version de la Belle au Bois Dormant déstructurée. En dévoilant un kaléidoscope de sensations perturbant, le chorégraphe espagnol ancre le conte dans une esthétique et les enjeux actuels.
Quand le rideau se lève, la scène apparaît comme une boîte remplie de lumière rouge. Les interprètes, en immense robe blanche en dentelles, exécutent des gestes saccadés sur une musique inquiétante. L’atmosphère est pesante, mystique, rien de nouveau pour Marcos Morau. Le chorégraphe espagnol qui a fondé en 2005 la compagnie La Veronal a développé une écriture où les gestes destructurés sont couplés à des mises en scènes au visuel percutant et à l’ambiance mystérieuse. Avec cette adaptation de La Belle au Bois Dormant pour le ballet de l’Opéra de Lyon, le chorégraphe éclate la trame et l’espace-temps du conte et du ballet de Petipa à travers un kaléidoscope de sensations étrange et fascinant, pour faire jaillir une version plus actuelle de l’histoire.
Cette version est une succession de pas de côtés, de détournements de la trame originale du conte. Dès la première scène, Marcos Morau nous fait pénétrer dans un espace mouvant. Tout commence par une salle au plafond bas, sans profondeur, claustrophobique, très étriquée par rapport à l’immensité de l’Opéra. Elle est éclairée par des néons rouge, puis blanc, puis bleu, lumière qui change par flash, hypnotisant. L’espace scénique ne cesse de se transformer au fil de la pièce, pour s’étendre, se réagencé, dévoiler un escalier, puis une haute fenêtre vertigineuse. La texture utérine moelleuse du décor présente au départ, se délite, dépouillé de ses rideaux et tapis pour ne rester qu’un squelette de scénographie désolé.
Quant aux rôles et aux genre des personnages, ils disparaissent pour faire fusionner les rois, les reines et les fées dans une seule figure. Tous les interprètes sont vêtus de la même robe blanche en dentelles, à l’immense jupon vaporeux soutenu d’une crinoline et coiffés d’un bonnet. Ce personnage semble à la fois interchangeable et démultiplié à l’infini, lorsqu’il défile façon tapis roulant ou dévale le plateau et traverse les coulisses sans s’arrêter. Les interprètes prennent des allures robotiques, à travers une gestuelle statique, comme s’ils s’étaient transformés en automates d’une vitrine de Noël, ou une dégaine de pantin à travers des gestes désarticulés : mouvements de la tête sur le côté, cambrure brusques ou membres balancés dans l’espace.
Malgré cette perte de repères généralisée, plusieurs indices nous raccrochent à un semblant de trame narrative. Le paysage sonore, qui dévoile des morceaux du ballet de Tchaïkovski par intermittence, en sourdine – étouffés par des sons électroniques pesants – permet de suivre l’enchaînement des actes. Le personnage d’Aurore, (plus vraiment l’héroïne de l’histoire) est représenté par plusieurs marionnettes, de bébé dans les premiers tableaux, à vieille femme dans un paysage post-apocalyptique. Cette conclusion acte une distance comique distillée tout au long de la pièce, notamment à travers l’apparition furtive sous l’escalier d’un tableau de bord, tout droit sorti d’un film de science-fiction. Une manière habile de revisiter cette histoire, qui joue avec l’espace-temps irréaliste du conte (censé se dérouler sur plus de cent ans) et questionne le consentement de la princesse endormie (qui est une poupée), pour proposer une nouvelle lecture de l’intrigue ancrée dans des considérations actuelles, comme l’angoisse d’un monde qui s’écroule devant notre impuissance.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
La Belle au Bois Dormant
CHORÉGRAPHIE ET LUMIÈRES
Marcos Morau
COLLABORATEUR LUMIÈRES
Mathieu Cabanes
MUSIQUE
Piotr Ilitch Tchaïkovski
SCÉNOGRAPHIE
Max Glaenzel
COSTUMES
Silvia Delagneau
DRAMATURGIE
Roberto Fratini
CONCEPTION SONORE
Juan Cristóbal Saavedra
Ballet de l’Opéra de LyonDurée 1h15
Opéra de Lyon
du 12 au 19 novembre 2023
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