Après un magistral Parsifal à Vienne, Kirill Serebrennikov revient à Wagner avec un Lohengrin enlisé dans une guerre interminable. Entre désordre mental et réalité aussi crue que douloureuse, cette version puissante d’un point de vue esthétique et dramatique, souffre aussi d’être excessivement surchargée.
Le milieu carcéral dans lequel se jouait le Parsifal viennois, avec ses froides cellules en barres de fer, a laissé place pour Lohengrin à une autre prison : celle de l’espace mental d’une Elsa oppressée, affolée. C’est à travers son esprit dérangé qu’on pénètre dans la pièce de Wagner. Le légendaire personnage éponyme n’est autre qu’un fantasme imaginé par l’innocente accusée cherchant à conjurer le traumatisme causé par la perte de son frère Gottfried. Celui-ci apparaît sur écran vidéo au cours du Prélude, en beau jeune homme, innocence et candeur ingénue incarnées, traversant une forêt initiatique puis plongeant nu dans un cours d’eau. Quand, au sortir de la baignade, il revêt son uniforme de soldat au départ pour le front, on peut aisément deviner son funeste destin.
Une fois le rideau levé, il règne un grand désordre entre les hauts murs gris de l’espace quasi clos. Parade d’une armée sombre de gardes casqués, triade de femmes furieusement agitées représentant l’héroïne démultipliée en pleine crise de décompensation, arrivée opportune du chevalier wagnérien précédée d’éphèbes aux torses tatoués arborant une longue paire d’ailes. Les éléments s’enchaînent de manière étourdissante et laissent aussitôt présager un geste théâtral à la fois ample, dense, touffu, confus, hyperchargé.
Aux actes suivants, l’espace s’ouvre et se mue en un vaste asile défraîchi où cohabitent la cantine des vaillants combattants et le dortoir des pauvres estropiés, où l’on entrepose les carcasses de cadavres en attente d’être placés dans les casiers mortuaires. Ainsi, le plateau de l’Opéra Bastille devient la caisse de résonance des ravages humains de la guerre dont le metteur en scène russe fait un thème de prédilection. Serebrennikov réinvente Lohengrin en livrant une relecture apocalyptique assez ressassée mais aussi prémonitoire (car pensée avant le début de la guerre en Ukraine). Celle-ci pourrait être saisissante si elle ne comportait pas tant d’outrances. En faisant complaisamment du grand spectacle sensationnaliste sur un sujet qui mériterait davantage de retenue (de manière édifiante, il parle de « blockbuster de l’opéra »), le metteur en scène réalise des images choc mais risque de perdre la nécessité de son propos.
Prenant l’aspect d’un militaire en treillis et sac à dos, le Lohengrin de Piotr Beczala se juche, au milieu d’une cour intérieure désaffectée, sur un lambeau de piédestal en fer et béton armé pour chanter son In fernem Land. Le passage est un peu raide mais néanmoins inspiré, à l’image de l’ensemble de la performance d’une solidité évidente mais qu’on aimerait encore plus rayonnante. Déjà présenté sur plusieurs grandes scènes internationales dont celle du temple bayreuthien, son beau Lohengrin se hisse à la tête d’une distribution de haute tenue mais pas non plus exempte de défauts.
L’Elsa de Johanni van Oostrum tire fièrement son épingle du jeu. La soprano n’est pas le calibre le plus puissant de la soirée mais sa voix est fort belle, chaudement lumineuse, tout en rondeur et de couleur ambrée, au service d’une interprétation flamboyante, pleinement habitée et engagée. Beaucoup plus impressionnante en volume, la voix de Nina Stemme paraît pour autant moins stable et moins modelée qu’auparavant. L’immense wagnérienne fait une Ortrud pleinement tellurique mais parfois criarde et stridulante qui trouve en Wolfgang Koch un Telramund aux accents crus et aussi bien fatigués, de quoi renforcer une vision extrêmement veule et vulnérable du personnage.
Dépourvus de nuances, les chœurs chantent fort et épais au point d’écraser le plateau, tandis que l’orchestre se montre bien plus subtil et contrasté. Si le Prélude, habituellement magique car enveloppant de pureté, est donné d’une manière un peu lisse, la tension monte par la suite dans une fosse qui gagne en densité sous la direction bien sculptée d‘Alexander Soddy. Déjà éblouissant dans Peter Grimes de Britten au Palais Garnier, le chef s’offre comme un remplaçant de qualité pour Gustavo Dudamel, ancien directeur musical démissionnaire de l’Opéra de Paris.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Lohengrin de Richard Wagner
Direction musicale
Alexander SoddyCheffe des Chœurs
Ching-Lien WuMise en scène, décors, costumes et lumières
Kirill SerebrennikovDécors
Olga PavlukCostumes
Tatiana DolmatovskayaLumières
Franck EvinVidéo
Alan MandelshtamChorégraphie
Evgenyi KulaginDramaturgie
Daniil OrlovAvec
Heinrich der Vogler
Kwangchul YounLohengrin
Piotr BeczalaElsa von Brabant
Johanni van Oostrum
23, 27 sept., 14, 18, 21, 24 oct.
Sinead Campbell Wallace
30 sept., 11, 27 oct.Friedrich von Telramund
Wolfgang KochOrtrud
Nina Stemme
23 sept. > 14 oct.
Ekaterina Gubanova
18 > 27 oct.Der Heerrufer des Königs
ShenyangVier Brabantische Edle
Bernard ArrietaVier Brabantische Edle
Chae Hoon Baek
Julien Joguet
John BernardVier Edelknaben
Isabelle Escalier
Joumana El-Amiouni
Caroline Bibas
Yasuko AritaOrchestre et Chœurs de l’Opéra national de ParisAvec le soutien exceptionnel de : Aline Foriel-Destezet, Élisabeth et Bertrand Meunier, Étienne Binant et Sébastien Grandin
4h20 avec 2 entractes
Opéra Bastille
du 23 septembre au 27 octobre 2023
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