Vanessa Larré livre une très forte adaptation de l’essai autobiographique de Virginie Despentes avec un trio de comédiennes extraordinaires. Créée en 2015 avec Barbara Schultz, Anne Azoulay et Valérie de Dietrich (notre critique avec cette distribution), la pièce est reprise au Théâtre Monfort (avec Marie Denarnaud et non plus Barbara Schultz).
Cécile Backès (actuelle directrice de la Comédie de Béthune) a été la première a adapter le texte coup de poing de Virginie Despentes paru en 2006 dans une version avec une seule comédienne. La très bonne idée de Vanessa Larré a été de multiplier les voix. Trois comédiennes aux parcours professionnels différents se répondent sur scène. La plus connue Barbara Schultz (Molière en 2001 pour Joyeuses Pâques) trouve ici un rôle dans lequel on ne l’attend pas et elle est parfaite. Tout comme Anne Azoulay qui vient du cinéma et des séries télé (Kaboul Kitchen sur Canal +) et Valérie de Dietrich plus aguerrie des planches. Quand à Vanessa Larré on ne connaissait rien de son travail. Il s’agit de sa troisième mise en scène. Avec sa compagnie Parcelle112 elle a été en résidence d’essai au Centquatre et a travaillé autour des textes de Franz Xaver Kroetz. C’est une révélation. Sa mise en scène fourmille d’idées inventives au service du texte.
L’action se déroule dans un vestiaire.Les femmes rangent leur blouse de travail dans leur armoire métallique et se lancent dans ce plaidoyer pour un nouveau féminisme . Avec «King Kong Théorie», Virginie Despentes définit une nouvelle image de la femme : « la femme virile ». Celle qui raconte son viol, qui brise son silence. « Le conseil le plus raisonnable, pour tout un tas de raison, reste « garde ça pour toi ». Étouffe, donc, salope, comme on dit ». Elle ne mâche pas ses mots. C’est cru. Sans fioriture. Et dans ce théâtre de La Pépinière on guette les réactions des spectateurs. Les visages des hommes se crispent lorsque les comédiennes miment une fellation ou une éjaculation faciale. Les femmes retiennent leur souffle lorsque la lumière se rallume dans la salle pour évoquer la masturbation féminine et que les comédiennes cherchent des regards approbateurs. Et tout cela est amené avec une grande délicatesse par Vanessa Larré. Ce n’est ni vulgaire ni provocateur. C’est d’une grande intelligence et d’une grande retenue.
Les ambiances sonores et visuelles sont magnifiques. La scène divisée en trois parties grâce à deux poteaux verticaux offre une multiplicité de points de vue. L’utilisation de la vidéo permet de faire des gros plans sur les visages des comédiennes. Les lumières rouge sang soulignent par moment la cruauté de la violence des mots de Virginie Despentes. La scène finale qui fait référence à King Kong est de toute beauté. Comme par enchantement on atterri sur Skull Island, l’effet visuel est réussi.
A la sortie une partie du public qui ne connaissait pas l’essai de Virginie Despentes est totalement décontenancé. Surtout certains hommes hétérosexuels. C’est assez jouissif de voir leur gêne. Car parler de leur amour pour la pornographie au grand jour devant leurs épouses est à leurs yeux un sacrilège ! Vanessa Larré réussit un spectacle parfait !
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr (2015 à la création)
KING KONG THÉORIE de Virginie Despentes
Adaptation :
Valérie de Dietrich et Vanessa Larré
Mise en scène :
Vanessa Larré
Avec Anne Azoulay, Valérie de Dietrich, Marie Denarnaud
Durée: 1h10
Théâtre Monfort
du 4 au 15 juin 2024
Barbara Schultz est splendide et puis l’idée de ce spectacle traitant ce sujet est géniale car en soi oui il y a de la gêne, mais il y a aussi une glace qui est brisée et ça c’est important…