Avec sa nouvelle création visuelle et sonore donnée dans le Off, au 11 · Avignon, Alexis Armengol poursuit son exploration toute en pudeur de l’enfance et de la différence, avec la tendresse et la poésie qui le caractérisent.
Depuis quelques années, le metteur en scène s’inspire de son travail de terrain en tant que psychologue pour créer ses pièces, comme Vu d’ici (2020), où il étudiait la schizophrénie, ou Vilain (2018), où il évoquait la différence et l’acceptation en retravaillant le conte du Vilain Petit Canard.
Alexis Armengol a fait la rencontre de K. dans un centre médico-psycho-pédagogique. K., c’est le surnom de Kadhiravan. Le petit garçon de sept ans est une énigme. Il ne parle pas et décontenance toute l’équipe soignante. K. est au centre de la pièce, mais ne sera jamais présent sur scène. Il n’existera qu’à travers des projections murales et un univers sonore. Le reste, c’est à nous de l’imaginer. « Son regard ressemble à nous quand on est curieux. Il regarde avec de petits plis au coin des paupières », décrit Mickaël (Laurent Seron-Keller), qui pourrait être tout à la fois soignant, animateur ou chercheur. Il est assisté dans son observation du jeune garçon par Maï (Shih Han Shaw), qui réalise également des dessins depuis une tablette numérique, projetés ensuite sur un grand mur blanc. Troisième encadrant, Massis (Romain Tiriakian) assure aussi l’univers sonore de K. : ses rires, ses soupirs, ses grommellements, ses cris, qui remplacent les mots qu’il ne prononce pas. « Dire quelque chose de K. c’est dur à dire, explique Mickaël. Attardé, autiste, inadapté ? ». Au fur et à mesure des séances organisées par l’équipe soignante, K. se dévoile. Il lui faut rattraper une balle, jouer avec de l’eau ou encore des graviers… On assiste alors à des moments de joie et à des petites victoires, mais aussi à des accidents, comme lorsque le jeune garçon s’empoisonne avec de l’encre ou s’étouffe avec des fruits.
Comment représenter l’autre, celui qui n’a pas le même langage que soi ? Celui dont le monde sensible n’est pas le même ? Celui avec lequel on essaie tant bien que mal d’établir un contact ? Il faut en passer par des canaux sensoriels différents du texte. Au plateau, deux univers s’opposent : le monde physique, composé de planches de bois brut, de parpaings, de deux matelas sous plastique et d’un tableau blanc, dans une ambiance inhospitalière de laboratoire stérile où les matières sont rugueuses et brutales ; et le monde composé de projections visuelles. Sur un grand mur blanc, s’enchaînent de courtes vidéos des paysages dans lesquels évolue K. (une rue, un pont, un chemin), des images en stop motion d’une marionnette qui évoquent le petit garçon, et des dessins, des traits, des visages réalisés en direct par Shih Han Shaw. En fonction des humeurs de K., s’y développent des courbes tantôt douces tantôt dures, des couleurs tantôt chaudes tantôt froides. Et c’est tout un univers que les protagonistes tentent alors de saisir, de comprendre, sans prise.
Ces projections quittent toutefois peu à peu le mur pour envahir les panneaux de bois disposés sur le plateau et fragmenter l’écran. Les deux mondes se rencontrent enfin. Un contact est possible. Les deux espaces se réorganisent, trouvent un nouvel assemblage pour se comprendre, peut-être même dialoguer ? Le tout est complété par un univers sonore riche développé par Romain Tiriakian au micro, sur scène ou en coulisse, à travers les marmonnements de K., ses claquements de langue, ses bruits de palais, ses éclats de voix, qui se transforment progressivement en chant.
La crainte de voir les effets visuels prendre trop de place par rapport au jeu est vite estompée par un réel équilibre dans la composition. Si quelques images, qui n’ont pas de rapport direct avec K., semblent superflues, l’outil est la plupart du temps mis au service d’une réelle ambition : évoquer un monde sensible qu’on ne comprend pas, dont on saisit à peine les contours. Le fait que le dessin se crée devant nous en temps réel permet d’ancrer K. dans une réciprocité entre l’image et la scène, qui se confondent finalement, comme un pont entre deux mondes. Sans la prétention de répondre à la moindre question concernant l’autisme, K. donne seulement à voir une fenêtre sur un sensible différent, pour un résultat empli de pudeur et d’humanité.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
K.
Texte, conception, mise en scène Alexis Armengol
Avec Laurent Seron-Keller, Shih Han Shaw, Romain Tiriakian
Scénographie Heidi Folliet
Création vidéo Félix Blondel
Création lumière Sébastien Marc, Rémi Cassabé
Création son Quentin Dumay, Julien BouvierProduction Théâtre à cru
Coproduction Maison de la Culture de Bourges, Scène nationale ; CDN de Tours ; La Tribu Jeune Public ; L’Échalier ; Théâtre d’Aurillac ; Ville de Tours ; La Ferme du Buisson – Scène nationale ; Le Grand Bleu ; CRÉA / Festival MomixThéâtre à cru est conventionné par le ministère de la Culture – DRAC Centre-Val de Loire, porté par la Région Centre-Val de Loire et soutenu par la Ville de Tours.
Durée : 1h
Festival Off d’Avignon 2023
11 · Avignon
du 7 au 26 juillet, à 9h50 (relâche les 13 et 20)Théâtre d’Auxerre
le 12 décembreVandoeuvre-lès-Nancy
les 20 et 21 décembreFestival MOMIX
le 3 février 2024
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